Médicaments
Le projet de loi 81 permettant les appels d’offres pour des médicaments et des grossistes a été adopté et sanctionné le 10 juin!
Vendredi dernier, le 10 juin 2016 (le dernier jour de la session parlementaire avant les vacances d’été), l’Assemblée nationale du Québec a adopté le Projet de loi 81 intitulé « Loi visant à réduire le coût de certains médicaments couverts par le régime général d’assurance médicaments en permettant le recours à une procédure d’appel d’offres » qui permet au ministre de la Santé et des Services sociaux de procéder à des appels d’offres pour l’inscription de médicaments à la Liste des médicaments ainsi que, à l’égard des médicaments ayant fait l’objet d’un tel appel d’offres, pour les services d’un grossiste en vue de l’approvisionnement des pharmaciens propriétaires.
Ce projet de loi (maintenant devenu le chapitre 16 des Lois du Québec 2016) introduit en effet les trois nouveaux articles suivants à la Loi sur l’assurance médicaments :
« 60.0.0.1. Aux fins de l’inscription à la liste des médicaments, le ministre peut recourir à une procédure d’appel d’offres afin de conclure avec un fabricant reconnu un contrat établissant le prix et les conditions d’inscription d’un médicament ou d’une fourniture. Le médicament ou la fourniture faisant l’objet d’un tel contrat est inscrit à la liste et tout autre médicament ou toute autre fourniture visé par l’appel d’offres en est exclu. Toutefois, le ministre peut, le cas échéant, inclure à la liste le médicament d’origine, lequel est inscrit comme un médicament d’exception.
« 60.0.0.2. Aux fins de l’approvisionnement des pharmaciens propriétaires à l’égard d’un médicament ou d’une fourniture faisant l’objet d’un contrat visé à l’article 60.0.0.1, le ministre peut recourir à une procédure d’appel d’offres afin de conclure avec un grossiste reconnu un contrat prévoyant les conditions de cet approvisionnement et la marge bénéficiaire. Un tel contrat accorde au grossiste, à l’égard de ce médicament ou de cette fourniture, l’exclusivité de l’approvisionnement des pharmaciens propriétaires, lesquels ne peuvent s’approvisionner qu’auprès de lui.
« 60.0.0.3. Un appel d’offres visé aux articles 60.0.0.1 et 60.0.0.2 est effectué selon les conditions et modalités que détermine le ministre par règlement. ».
Dans un premier temps, le nouvel article 60.0.0.1 introduit au Québec le droit pour le ministre de la Santé et des Services sociaux de recourir à des appels d’offres pour l’inscription de médicaments à la Liste des médicaments et d’octroyer une exclusivité d’inscription à la Liste des médicaments au fabricant ayant remporté cet appel d’offres.
Une telle procédure existe déjà, à quelques différences près, dans d’autres provinces.
Par contre, elle pose au Québec un problème particulier, soit celui des allocations professionnelles. En effet, pour quelle raison un fabricant ayant obtenu une telle exclusivité d’inscription d’un médicament à la Liste des médicaments verserait-il quelque allocation professionnelle à l’égard des achats de ce médicament par les pharmaciens propriétaires?
Là où ce Projet de loi 81 innove, c’est par son article 60.0.0.2 qui accorde aussi au ministre de la Santé et des Services sociaux de procéder à des appels d’offres auprès de grossistes reconnus à l’égard des conditions d’approvisionnement et de la marge bénéficiaire du grossiste pour tout médicament, ou toute fourniture, ayant fait l’objet d’un contrat avec un fabricant au terme d’un appel d’offres visant le prix du médicament ou de la fourniture.
Selon cet article 60.0.0.2, un contrat conclu par le ministre au terme d’un tel appel d’offres « accorde au grossiste, à l’égard de ce médicament ou de cette fourniture, l’exclusivité de l’approvisionnement des pharmaciens propriétaires, lesquels ne peuvent s’approvisionner qu’auprès de lui. »
Non seulement cet article est-il nouveau, mais il semble faire fi de la dynamique de la distribution des médicaments au Québec où plusieurs grossistes sont liés à une bannière, que ce soit parce que (a) le grossiste et la bannière sont la même personne (par exemple, Jean Coutu, Brunet, Familiprix et Shoppers Drug Mart/Pharmaprix), (b) le grossiste est propriétaire de la bannière (par exemple, McKesson et Proxim) ou (c) le grossiste a des ententes privilégiées avec une bannière (par exemple, McKesson et Uniprix).
Dans ce contexte, le fait d’octroyer l’exclusivité de distribution d’un médicament à un seul grossiste reconnu ne risque-t-il pas de créer plus de problèmes qu’il ne peut en régler?
Par exemple, le grossiste possédant une telle exclusivité pourra-t-il imposer des conditions de distribution (tel que des quantités minimales par commande ou, encore, des achats minimaux auprès de lui par mois ou par année)?
Puisque l’obligation faite aux pharmaciens propriétaires de s’approvisionner exclusivement auprès du grossiste retenu par le ministre implique nécessairement l’obligation corrélative de ce grossiste de vendre et de distribuer le médicament concerné à tous les pharmaciens propriétaires du Québec, si le grossiste ne peut imposer quelque condition, cela peut avoir un impact certain sur ses coûts et sa logistique de distribution, alors que, inversement, s’il peut imposer des conditions aux pharmaciens propriétaires, cela peut très bien ouvrir la porte à des abus face aux autres grossistes reconnus.
Cela soulève aussi la problématique de la confidentialité des renseignements sur les achats et les ventes de médicaments par les pharmaciens propriétaires. Le grossiste bénéficiant d’une exclusivité sur la distribution d’un médicament pourra tirer, de ses ventes de ce médicament, plusieurs données importantes sur les achats et les ventes de chaque pharmacien propriétaire, données qu’il pourrait par la suite utiliser à d’autres fins d’ordre commercial (surtout, pour plusieurs grossistes, en raison de leurs liens avec une ou deux bannières).
Verrons-nous bientôt le jour où les pharmaciens propriétaires affiliés à Jean Coutu devront s’approvisionner auprès de Shoppers Drug Mart Limited pour certains médicaments ou, encore, où les pharmaciens propriétaires affiliés à Brunet (une filiale de Metro) devront s’approvisionner auprès de Shoppers Drug Mart Limited (une filiale de Loblaws/Provigo)?
Je ne suis pas du tout certain que ce soit là une bonne idée et que, dans le cas des grossistes, les économies prévisibles en raison de cet article 60.0.0.2 dépassent les inconvénients et les risques qu’il posera.
Malgré ces questions et ses préoccupations qui ont, pour la plupart, été communiquées à l’Assemblée nationale du Québec par les différentes associations et entreprises qui ont déposé des mémoires et été entendues en commission parlementaire, le projet de loi 81 a été adopté et santionné sans changement le 10 juin dernier.
Reste à savoir quelles seront les conditions et modalités de tels appels d’offres, lesquelles doivent, en vertu du nouvel article 60.0.0.3, faire l’objet d’un règlement.