Osler : D’importants changements sont apportés à la gouvernance de personnes morales dans les modifications proposées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions
Le 28 septembre 2016, le gouvernement fédéral du Canada a déposé le projet de loi C-25, la Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et autres. Les modifications proposées constituent le point culminant du premier examen approfondi de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) en 15 ans, et font suite à un processus de consultation amorcé en 2013. Les modifications proposées visent notamment les objectifs suivants :
réformer le processus d’élection des administrateurs de certaines sociétés par actions;
moderniser les communications entre les sociétés par actions et leurs actionnaires;
exiger la divulgation de renseignements relatifs à la diversité au sein des administrateurs et des membres de la haute direction.
Les modifications proposées
Sous réserve d’exceptions qui peuvent être prévues par règlement, les modifications suivantes s’appliqueront aux sociétés régies par la LCSA et ayant des titres cotés en bourse ou qui sont autrement des sociétés ayant fait appel au public, notamment des sociétés régies par la LCSA qui sont inscrites à la cote de la Bourse de Toronto (la TSX), de la Bourse de croissance TSX et d’autres bourses :
Norme relative au vote majoritaire dans le cas de l’élection d’un administrateur — si, lors d’une assemblée où des administrateurs doivent être élus, il n’y a qu’un seul candidat par poste d’administrateur à combler, les actionnaires pourront voter « contre » les candidats, et chaque candidat ne sera élu que si le nombre de voix en sa faveur dépasse le nombre de voix contre lui. Si, à la suite du vote, le candidat n’est pas élu, le conseil d’administration ne peut pas nommer le candidat au poste d’administrateur avant la prochaine assemblée des actionnaires au cours de laquelle les administrateurs sont élus. Comme nous le verrons plus loin, cette proposition modifierait la façon dont les administrateurs de sociétés ouvertes sont élus aux termes de la LCSA, et elle diffère grandement des pratiques courantes en matière de vote majoritaire applicables aux sociétés régies par la LCSA et inscrites à la cote de la TSX.
Élection annuelle des administrateurs — tous les administrateurs devraient être élus aux assemblées annuelles, conformément aux exigences courantes applicables aux sociétés régies par la LCSA et inscrites à la cote de la TSX. Par conséquent (sous réserve d’exceptions prévues par règlement), la LCSA interdirait l’existence de conseils d’administration renouvelables par tranches (c.-à-d. des conseils d’administration dont seulement un certain nombre de membres seraient élus chaque année (p. ex. un administrateur sur trois, chaque année)), phénomène qui s’est déjà vu dans certaines grandes sociétés ouvertes canadiennes, mais qui n’avait plus la cote, même avant que la TSX n’en établisse l’interdiction.
Interdiction de suffrage plurinominal — chacun des administrateurs devrait être élu séparément, ce qui interdirait le suffrage plurinominal, et qui est conforme aux exigences courantes applicables aux sociétés régies par la LCSA et inscrites à la cote de la TSX.
Avis et accès — l’administrateur, aux termes de la LCSA, aurait le pouvoir d’accorder des dispenses pour permettre aux sociétés de fournir aux actionnaires un avis et l’accès en ligne (« mécanisme de notification ») aux états financiers et pour permettre aux sociétés et aux dissidents de faire parvenir des formulaires de procuration aux actionnaires au moyen du mécanisme de notification, mais il n’aurait pas le pouvoir d’accorder de dispense relative à l’exigence de présenter des renseignements relatifs à la diversité aux actionnaires.
Présentation de renseignements relatifs à la diversité — les sociétés seraient tenues de fournir annuellement aux actionnaires les renseignements réglementaires concernant la diversité au sein des administrateurs et des membres de la haute direction. Le document d’information relatif à la proposition indique que la présentation de renseignements réglementaire abordera la représentation des femmes au sein de conseils d’administration et de la haute direction selon un modèle « se conformer ou s’expliquer ») et exigera que les sociétés communiquent leurs politiques et la représentation en matière de diversité, ou qu’elles en expliquent l’absence.
Les modifications proposées portent également sur diverses questions techniques, comme l’interdiction du recours aux émissions au porteur (afin d’accroître la transparence en matière de droit de propriété) et l’exigence selon laquelle un administrateur aux termes de la LCSA publie certaines décisions relatives aux dispenses accordées en vertu de la LCSA.
Modifications qui ne sont pas proposées
Le processus de consultation de 2013 sollicitait des commentaires, qui ont été obtenus sur divers sujets. Les modifications proposées ne font pas ce qui suit et ce qui a été suggéré dans le cadre du processus de consultation :
exiger des votes consultatifs des actionnaires sur la rémunération des cadres;
résoudre les préoccupations relatives au vote vide et à l’exercice excessif des droits de vote;
modifier des exigences de fond régissant le moment et la manière dont les actionnaires peuvent présenter des candidats à des postes d’administrateur, dans la circulaire de sollicitation de procurations de la société (accès à la procuration);
exiger que les postes de chef de la direction et de président du conseil d’administration soient tenus par des personnes différentes;
exiger l’approbation des actionnaires dans le cas d’opérations a effet dilutif importantes;
exiger la divulgation des questions sociales et environnementales;
modifier l’obligation de résidence imposée aux administrateurs.
Principaux points à retenir
Norme relative au vote majoritaire
Les modifications proposées, selon leur libellé actuel, s’écartent considérablement des pratiques courantes en matière de vote majoritaire et des exigences relatives à l’inscription à la cote de la TSX; aucun état ou province en Amérique du Nord n’a adopté le vote majoritaire tel qu’il est proposé dans les modifications à la LCSA.
À l’heure actuelle, les sociétés inscrites à la cote de la TSX sont tenues de se doter d’une politique relative au vote majoritaire selon laquelle un administrateur qui suscite davantage d’abstentions que de vote en sa faveur, dans le cadre d’une élection non contestée, doit présenter sa démission, que les membres du conseil qui ont obtenu une majorité de votes en leur faveur doivent alors envisager d’accepter ou de refuser.
Les modifications proposées a pour principal effet de supprimer tout rôle que peut jouer le conseil d’administration lorsque la norme du vote majoritaire n’est pas atteinte pour au moins un des candidats à un poste d’administrateur. Aux termes des modifications proposées à la LCSA, il n’est pas loisible au conseil d’administration de décider d’accepter ou non la démission d’un administrateur qui a obtenu une majorité d’abstentions, étant donné que l’administrateur n’aurait même pas été élu, initialement. Par conséquent, les modifications proposées supprimeraient une importante protection contre le spectre « d’élections manquées », où les administrateurs élus ne peuvent pas agir, en raison de l’absence de quorum, ou de non-conformité aux exigences relatives à la résidence aux termes des lois sur les sociétés, ou aux obligations d’indépendance, aux termes des lois sur les valeurs mobilières ou des règles des marchés boursiers.
Les pratiques actuelles de la TSX en matière de vote majoritaire présentent l’avantage important d’offrir aux actionnaires un moyen d’exprimer leur insatisfaction à l’égard d’administrateurs. Elles fournissent donc un point de départ à l’engagement du conseil d’administration et des actionnaires lorsque les actionnaires ont décidé de ne pas proposer d’autres candidats au poste d’administrateur. Les modifications proposées pourraient rendre les actionnaires qui sont insatisfaits d’une décision particulière du conseil encore plus réticents à exprimer leur insatisfaction au moyen de votes « contre » ou d’abstentions, compte tenu du risque « d’élections manquées ». Par contre, laisser au conseil d’administration, organe qui a la responsabilité fiduciaire de prendre des décisions qui sont dans l’intérêt supérieur de la société, la responsabilité de décider de l’accession au poste d’administrateur, compte tenu du fait que le candidat n’a pas obtenu une majorité de voix en sa faveur, permet de considérer pleinement l’ensemble des circonstances pertinentes et offre l’occasion d’entamer un dialogue constructif avec les actionnaires, en vue de comprendre et de régler les problèmes sous-jacents, à la source des résultats du vote.
Les modifications proposées tiennent également pour acquis que les actions qui n’ont pas suscité de vote auraient donné lieu à des votes qui auraient été dans le même sens et dans les mêmes proportions que les votes qui ont été exprimés. Rien n’indique que ce serait le cas. Par exemple, lorsqu’ils donnent leurs directives sur l’ouverture d’un compte à leur courtier, les véritables propriétaires peuvent décider de recevoir les documents relatifs à l’assemblée en vertu du Règlement 54-101 pour toutes les assemblées, pour aucune assemblée, ou uniquement pour les assemblées portant sur des résolutions extraordinaires. Ceux qui décident de recevoir de la documentation relative aux procurations uniquement pour les assemblées extraordinaires (dont bon nombre sont des actionnaires individuels) sont habituellement prêts à appuyer les candidats proposés dans la circulaire de sollicitation de procurations de la société, tout en se réservant le droit d’exprimer leur opinion sur les opérations importantes. Dans la plupart des circonstances prévues par la norme proposée relativement au vote majoritaire, l’assemblée n’aura pas à se prononcer sur une résolution extraordinaire, et ces propriétaires véritables ne se seront pas vu offrir l’occasion de voter « pour » d’administrateurs qu’ils sont implicitement prêts à appuyer.
Présentation de renseignements relatifs à la diversité
Accroître la diversité au sein des conseils d’administration et de la haute direction est devenu un important enjeu politique, culturel et de gouvernance d’entreprise au Canada, et il faut s’attendre à ce que cela reste une priorité des politiques publiques pendant encore un certain temps. Les modification proposées prévoient une approche selon le modèle « se conformer ou s’expliquer », quant à la présentation de renseignements relatifs à la diversité, ce qui est conforme à l’approche adoptée par la plupart des territoires de compétence canadiens en vertu des lois sur les valeurs mobilières, plutôt que d’imposer des quotas, comme dans certains territoires de compétence européens. Toutefois, bien que le document d’information relatif aux modifications proposées à la LCSA laisse entendre que celles-ci visent la représentation des femmes, le gouvernement fédéral prévoit se donner la souplesse nécessaire pour adopter des règlements exigeant la présentation d’autres caractéristiques de la diversité, dont la race. Les sociétés régies par la LCSA devront donc prendre ce défi au sérieux.
Émetteurs inscrits à la cote de la Bourse de croissance TSX
Les sociétés régies par la LCSA qui sont des émetteurs inscrits à la cote de la Bourse de croissance TSX sont actuellement dispensées du vote majoritaire, de l’élection annuelle des administrateurs et des exigences individuelles en matière de vote applicables aux sociétés régies par la LCSA qui sont inscrites à la cote de la TSX, ainsi que des obligations des conseils d’administration et de la haute direction en matière de présentation des renseignements relatifs à la diversité, aux termes des lois canadiennes sur les valeurs mobilières. On ignore dans quelle mesure, le cas échéant, les règlements qui seraient adoptés continueraient de dispenser de ces obligations les sociétés inscrites à la cote de la Bourse de croissance TSX.
Conclusion
Les modifications proposées constituent d’importants changements dans la gouvernance des sociétés régies par la LCSA. Les sociétés régies par la LCSA et leurs conseils d’administration devraient passer soigneusement en revue le projet de loi C-25 et tenir compte de son éventuelle application à leur situation particulière. Nous nous réjouissons à l’avance de prendre part au débat suscité par les modifications proposées.