Décision récente : Le Tribunal des professions confirme que le reconditionnement de médicaments peut constituer une infraction au Code des professions!
Dans mon billet du 18 octobre dernier (que vous pouvez relire en cliquant ici) je mentionnais que l’article 59.2 du Code des professions qui prévoit que « Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession. », faisait en sorte qu’un(e) pharmacien(ne) pouvait être poursuivi(e) devant le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec pour un geste qui, bien que n’allant pas à l’encontre de quelque article précis du Code de déontologie des pharmaciens ou d’un autre règlement de l’Ordre des pharmaciens du Québec, était par ailleurs jugé « dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre ».
Un jugement rendu le 28 octobre dernier par le Tribunal des professions (agissant en appel d’une décision rendue le 21 juillet 2014 par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec) dans une affaire visant M. John Di Genova (que vous pouvez lire en cliquant ici) démontre une nouvelle fois la portée de cet article.
Dans cette affaire, M. John Di Genova en appelait devant le Tribunal des professions d’une décision du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec l’ayant trouvé coupable « d’avoir commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession en reconditionnant, sans justification valable, des formats d’un médicament destiné à des injections intraoculaires » contrevenant par là à l’article 59.2 du Code des professions.
Bien qu’aucun article précis du Code de déontologie des pharmaciens n’interdisait un tel reconditionnement (qui, selon l’expert de M. Di Genova, était fait selon des normes très élevées de sécurité, d’asepsie, d’hygiène et de salubrité qui, d’ailleurs, n’étaient pas remises en question par le Syndic de l’Ordre des pharmaciens du Québec), celui-ci n’avait pas été fait en conformité avec la monographie du fabricant concernant le médicament visé (le Lucentis®) ni conformément à La politique sur la fabrication et la préparation en pharmacie de produits pharmaceutiques au Canada.
En outre, M. Di Genova n’a pu démontrer avoir obtenu quelque ordonnance justifiant ce reconditionnement du produit en seringues ou plus petites doses. À cet égard, le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec avait aussi conclu que la preuve démontrait que M. Di Genova avait « procédé au reconditionnement du Lucentis sans raison thérapeutique, c’est-à-dire sans ordonnance le prescrivant ».
Selon le procureur de M. Di Genova, le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec aurait « erré en retenant ces deux critères parce que ni l’une ni l’autre, de la monographie ou de la politique, ne saurait constituer la base d’une « infraction légale ou réglementaire ». Il ne pouvait donc être reconnu coupable d’avoir enfreint une monographie ou une politique ».
Le Tribunal des professions a répondu dans les termes suivants à cet argument :
« [26] Le Tribunal ne peut adhérer à ce point de vue.
[27] S’il est exact d’affirmer que la monographie et la politique ne sont pas des textes normatifs qui créent des infractions disciplinaires à l’instar d’une loi ou d’un code de déontologie, il faut considérer ici que l’appelant n’a pas été cité pour avoir contrevenu à une quelconque directive d’ordre technique, comme s’il avait à répondre de la transgression d’un interdit. La plainte lui reproche d’avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur ou la dignité de sa profession aux termes de l’article 59.2 C. Prof. Le juge Dalphond, J.C.A., écrit ceci dans Cardinal :
[5] Avec égards, je suis d’avis que prétendre, comme le fait le requérant, que toutes interdictions externes doivent être incorporées spécifiquement dans un règlement d’un ordre pour devenir contraignantes à l’égard des membres de cet ordre viderait, à toutes fins pratiques, l’article 59.2 du Code des professions de sa signification ou, à tout le moins, d’une partie importante de sa finalité de protection du public.
[28] Un acte contraire à l’article 59.2 C. Prof. est généralement reconnu comme étant celui qui nuit à l’image ou à la réputation de l’ensemble de la profession ou qui mine l’essence même de la profession.
[29] En l’espèce, le Conseil a retenu que le fait, pour un pharmacien, de procéder au reconditionnement d’un médicament sans qu’aucune des justifications reconnues par le milieu pharmaceutique ne soit présente constitue un acte dérogatoire au sens où l’entend l’article 59.2 C. Prof.
[30] C’est au Conseil que revient, au premier chef, la compétence de définir ce qui constitue une violation de la norme de comportement énoncée à l’article 59.2 C. Prof.
[31] L’appelant ne convainc pas que le Conseil s’est mal dirigé en droit en retenant ces critères en vue de déterminer s’il avait ou non posé un acte dérogatoire. »
Le Tribunal des professions a donc rejeté l’appel de M. Di Genova et maintenu la décision du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec l’ayant trouvé coupable de cette infraction (pour laquelle le Conseil de discipline du Québec l’avait condamné à une période de radiation temporaire de trois mois et à une amende de 7 500$).
Comme on peut le constater de nouveau de ce jugement, l’article 59.2 du Code des professions peut très bien être utilisé par la Syndic de l’Ordre des pharmaciens du Québec afin de soutenir des plaintes qui ne peuvent être clairement liées à un ou des articles précis du Code de déontologie des pharmaciens ou d’un autre règlement de l’Ordre des pharmaciens du Québec.
Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.