Jugement-clé de la Cour supérieure du Québec en matière de redevance à pourcentage payable par un pharmacien!

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Jugement-clé de la Cour supérieure du Québec en matière de redevance à pourcentage payable par un pharmacien!

Depuis de nombreuses années maintenant, la question de savoir si la clause d’une convention de franchise ou de bannière par laquelle un pharmacien propriétaire s’engage à payer à son franchiseur ou à sa bannière une redevance calculée sur la base d’un pourcentage de ses revenus est illégale puisque contrevenant à l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens (qui interdit à un pharmacien de partager avec un non-pharmacien « les bénéfices provenant de la vente de médicaments ou ses honoraires ») a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses inquiétudes et remises en question.

Ces questionnements ont été exacerbés entre autres par le jugement rendu le 21 octobre 1999 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Lebel c. Pharmacentres Cumberland (Merivale) ltée (que vous pouvez relire en cliquant ici), lequel jugement avait été confirmé par jugement de la Cour d’appel du Québec (que vous pouvez aussi relire en cliquant ici), déclarant illégale et contraire à l’ordre public la clause de redevance stipulée à la convention de franchise de la défunte bannière Cumberland.

Plus récemment, dans un jugement rendu le 18 décembre 2016 dans des affaires concernant MM. Michel Cadrin et Gilles Fleury, pharmaciens (que vous aussi pouvez relire en cliquant ici) le Tribunal des professions avait établi certaines règles régissant la légalité ou l’illégalité, d’une telle redevance.

Or, dans un important jugement de 40 pages rendu le 29 décembre dernier (que vous aussi pouvez relire en cliquant ici) dans l’affaire Michel Quesnel c. Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et l’Ordre des pharmaciens du Québec (il est d’ailleurs intéressant de noter que l’Ordre des pharmaciens du Québec est une partie visée par ce jugement), la Cour supérieure du Québec vient établir des critères clairs permettant de juger de la légalité, ou de l’illégalité, d’une clause de redevance à pourcentage payable par un pharmacien propriétaire à son franchiseur ou à sa bannière.

Voici donc les principes retenus et les principaux commentaires formulés dans ce jugement par la Cour supérieure du Québec en réponse à cette épineuse question :

« [1] Une clause contractuelle qui prévoit l’obligation pour un pharmacien de verser une redevance à un franchiseur sur les revenus provenant de la vente des médicaments contrevient-elle à l’ordre public et à l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens ?

[2] Voilà la question à laquelle le Tribunal a été invité à répondre dans la présente affaire.

[.]

[59] [.] l’interdiction pour un pharmacien de partager ses honoraires ou les bénéfices provenant de la vente des médicaments avec un non-pharmacien n’a pas pour but de l’empêcher de conclure une convention de franchise et de payer une redevance même les revenus d’exploitation de sa pharmacie en contrepartie de biens ou de service.

[.]

[73] Pour cette raison, la clause de redevance contenue dans les conventions de franchise signées par Quesnel n’est pas nécessairement illégale. Cependant, puisque le partage des honoraires et des bénéfices provenant de la vente des médicaments avec un non-pharmacien est prohibé, il incombe au pharmacien de démontrer que la redevance est versée en contrepartie de biens ou de services et qu’il ne s’agit pas d’un simple partage de bénéfices. Il convient donc de procéder à une analyse détaillée des circonstances dans chaque cas.

[.]

[78] Selon la jurisprudence, l’interdiction qui est prévue à l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens n’est pas une prohibition absolue et n’a pas pour effet d’empêcher un pharmacien d’utiliser les revenus d’exploitation de sa pharmacie incluant ceux provenant de la vente des médicaments pour acquitter le coût des biens ou des services qu’il reçoit.

[79] Il n’est pas contraire à l’ordre public pour un pharmacien de signer une convention de franchise et de verser une redevance en contrepartie des droits qui lui sont consentis ou des services qui lui sont fournis dans la mesure où il conserve son indépendance professionnelle pour tout ce qui concerne les actes qui lui sont réservés en vertu de la loi.

[80] Il n’est pas sans intérêt de noter que le législateur utilise l’expression bénéfices plutôt que l’expression revenus dans le texte de l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens.

[81] L’expression bénéfices est traduite par le mot profits dans la version anglaise du texte. Les procureurs de PJC soumettent que l’expression bénéfices fait référence à la notion comptable de bénéfice net et que l’expression profit correspond à la notion comptable de net profit.

[.]

[83] Vu le sens des expressions utilisées à l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens , il est aisé de conclure que l’objectif poursuivi par le législateur est de réserver aux pharmaciens le droit de pratiquer la pharmacie et d’empêcher un non-pharmacien de posséder ou d’exploiter une pharmacie que ce soit directement ou indirectement en partageant avec un pharmacien ses honoraires ou les bénéfices provenant de la vente des médicaments.

[84] Cela ne signifie pas qu’un pharmacien contrevient à la loi et commet une faute déontologique lorsqu’il utilise les revenus d’exploitation de sa pharmacie, incluant les recettes provenant de la vente des médicaments, pour payer les dépenses qu’il doit engager pour exploiter sa pharmacie telles que les salaires, le loyer, les intérêts sur emprunts, les frais d’assurance, d’électricité, de téléphone, etc.

[85] On ne peut présumer qu’en utilisant les recettes provenant de la vente des médicaments pour payer les dépenses d’exploitation de sa pharmacie, incluant une redevance pour les licences et les services qu’il reçoit, un pharmacien porte atteinte à l’intégrité de sa profession ou à la protection du public. On ne peut davantage présumer que le paiement d’une redevance menace l’intégrité professionnelle du pharmacien ou son droit de propriété exclusif sur une pharmacie.

[86] Conclure autrement signifierait qu’un pharmacien pourrait échapper au paiement des dépenses liées à son entreprise en invoquant des obligations déontologiques. Cette interprétation est compatible avec celle qui a été retenue par le Tribunal des professions dans Cadrin c. Pharmaciens (Ordre professionnel des).

[.]

[88] À l’instar du Tribunal des professions, le Tribunal est d’avis que la répartition des dépenses entre un pharmacien et un non-pharmacien et l’utilisation de recettes provenant de la vente des médicaments pour payer des dépenses d’exploitation ne constituent pas a priori un partage de bénéfices prohibé en vertu de l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens.

[.]

[92] Bref, le paiement d’une redevance sur les ventes brutes, incluant les ventes de médicaments, n’est pas a priori illégal. Cependant, puisque le partage des honoraires et des bénéfices provenant de la vente des médicaments avec un non-pharmacien demeure prohibé, il importe de s’assurer que la redevance est versée en contrepartie de biens ou de services.

[93] Si le montant de la redevance versée par le pharmacien correspond à la valeur marchande des biens ou des services qu’il reçoit, elle sera considérée valide. À l’inverse, si le pharmacien verse une redevance sans contrepartie, elle pourra être jugée invalide si elle peut être assimilée à un partage de bénéfices.

[94] Dans la présente cause, la redevance annuelle qui est versée aux termes de la convention de franchise est calculée sur les ventes brutes. Il ne s’agit donc pas a priori d’un partage de bénéfices ou de profits selon les définitions juridiques et comptables qui sont données de ces expressions. Au surplus, la preuve qui a été administrée devant le Tribunal démontre que les franchisés de PJC versent une redevance en contrepartie des droits qui leur sont conférés et des services qui leur sont fournis.

[95] En l’espèce, la preuve non contredite qui a été présentée par PJC indique que les redevances versées par Quesnel sont raisonnables compte tenu de la juste valeur marchande des services et avantages qui lui sont fournis par PJC. »

Il est d’ailleurs intéressant, et important, de noter que, dans son évaluation de la contrepartie offerte au pharmacien propriétaire par son franchiseur, la Cour supérieure a tenu compte de la valeur des « droits d’utilisation du nom et des marques de commerce » du franchiseur, laquelle, dans cette affaire, représentait près de la moitié de la valeur totale de la contrepartie offerte par le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. à son franchisé Michel Quesnel.

Dans les conclusions de son jugement, la Cour supérieure du Québec a donc décidé que les redevances payables par M. Michel Quesnel à son franchiseur, Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. « correspondent à la juste valeur de la contrepartie fournie par la défenderesse au demandeur » et, en conséquence, que la clause de redevance stipulée à la convention de franchise de Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. « ne contrevient pas à l’article 49 du Code de déontologie des pharmaciens prohibant au pharmacien de partager les bénéfices provenant de la vente de médicaments ou ses honoraires avec un non-pharmacien » et est donc valide.

Je profite de cet envoi pour aussi vous souhaiter une magnifique année 2017 qui vous apportera santé, bonheur, amour et plein d’opportunités de réaliser vos voeux les plus chers.

Jean H. Gagnon