Mais encore?
Sans nier le moment historique que nous vivons, alors que nous assistons à une volonté gouvernementale jamais vue auparavant d’adresser les problématiques de violences genrées, il est évident que parmi les 190 recommandations de ce rapport certaines seront plus pertinentes que d’autres. Nous aimerions à cet effet faire un appel à la vigilance concernant plus spécifiquement 2 de ces recommandations qui nous semblent en contradiction avec l’objet principal du rapport puisqu’elles contribueraient à déjudiciariser les situations criminelles de violence conjugale.
Ordonnances civiles
L’Alliance MH2 invite à la plus haute prudence relativement aux recommandations 88 et 89 relativement à l’implantation d’ordonnances de protections civiles en matière de violence conjugale. Ces recommandations, si elles sont implantées, devraient être abordées avec précaution afin de ne pas se présenter comme une solution pour pallier aux manquements du système de justice en matière de droit criminel. Nous invitons ainsi les autorités à concentrer plus d’efforts et d’effectifs à faire respecter les ordonnances de ne pas troubler la paix (communément appelé 810 dans le milieu) qui, lorsque non respectée, amène à une judiciarisation criminelle de l’agresseur. Nous rappelons que les ex-conjoints de Dahia Khellaf 42 ans ainsi que ses 2 fils de 2 et 4 ans ont été assassinés le 11 décembre 2019, ainsi que de Françoise Côté 74 ans, assassinée le 4 décembre 2020, avaient tous deux un 810 qui pesait contre eux. Ainsi les 4 morts auraient pu être prévenues si les 2 hommes avaient été incarcérés à la suite du non-respect des conditions de l’ordonnance pesant contre eux. Nous craignons finalement que ces mesures contribuent à créer une asymétrie entre les femmes de statut socio-économique élevés ayant plus facilement accès aux mesures judicaires civiles par la voie d’avocats plaidant au privé. Nous craignons notamment que, par l’usage de telles mesures, les femmes les plus en marge de notre société, à savoir les femmes à statut migratoire précaire, soient d’autant plus laissées pour compte.
Facilitateurs en droit familial
L’Alliance MH2 demeure dubitative face à la recommandation 131 visant à étudier la faisabilité de mettre sur pied un « programme volontaire de facilitation familiale dans des contextes de violence conjugale ». Nous rappelons que selon la définition même que donne le gouvernement québécois, la violence conjugale s’insère dans une dynamique de pouvoir asymétrique, « elle ne résulte pas d’une perte de contrôle mais, constitue au contraire un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer un pouvoir sur elle. ». La proposition d’une telle mesure nécessite quant à elle une notion de rapports égalitaires à sa base absents dans un contexte de violence conjugale.
« Il faut faire attention de ne pas revenir en arrière; la médiation est reconnue par tous les experts comme étant tout à fait inappropriée, et dangereuse, pour les victimes de violence conjugale. Il ne faut pas déjudiciariser les actes criminels, ce serait une régression grave. »
Gaëlle Fedida – coordonnatrice aux dossiers politiques pour l’Alliance
Nous considérons donc que ces deux mesures détonnent par rapport au reste des recommandations présentées dans le rapport qui se veut profondément réformateur pour le système de justice. Elles contribueraient plutôt au problème généralisé de déjudiciarisation des agresseurs en violence conjugale comme le soulignait un rapport du Centre canadien de la statistique juridique paru en 2015 « les accusés reconnus coupables de violence conjugale sont moins susceptibles de recevoir une peine d’emprisonnement qu’un autre type d’agresseur reconnu coupable de voies de faits ». |