Joyce Echaquan: le devoir de réécrire l’histoire

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Joyce Echaquan: le devoir de réécrire l’histoire
«À Joyce, où que tu sois, sache que mon rapport ne sera pas complaisant. Il sera honnête. Il sera, je l’espère, la fondation d’un pacte social qui nous amènera à se dire: plus jamais. Ne nous laissons pas distraire par ceux qui ne croient pas que chaque homme et chaque femme mérite la même justice, la même dignité et la même reconnaissance. Nous avons le devoir de réécrire l’histoire.»

La coroner Géhane Kamel n’a pas l’habitude de prononcer un mot de fermeture à la fin d’une enquête, mais celle qui a dirigé l’enquête sur la mort de Joyce Echaquan tenait à livrer un message personnel, «le mot du cœur de Géhane», lors de la conclusion des audiences de l’enquête, mercredi, au palais de justice de Trois-Rivières.

Tout en soulignant le courage et la résilience de la famille de Mme Echaquan ainsi que de toute la communauté atikamekw, la coroner Kamel les a remerciées de lui avoir permis de leur tendre la main.

La coroner Géhane Kamel a livré un message personnel à la fin des audiences.

«Nous avons le droit de rêver à un monde de bienveillance. À vos enfants, M. Dubé, il faudra leur raconter que la petite révolution de la réconciliation a débuté grâce à leur maman», a-t-elle dit dans un moment marqué par l’émotion et le recueillement.

Processus bouleversant

Solange Dubé, porte-parole de la famille de Joyce Echaquan, a indiqué que les proches de la victime ont besoin de temps pour réfléchir à toute cette histoire avant de s’exprimer clairement, ce qui pourrait être fait ultérieurement en conférence de presse. Toutefois, elle a admis que le processus qui a duré 13 jours a été très bouleversant et que certains témoignages durant l’enquête ont été plus difficiles à entendre que d’autres.

«Nous, la famille, avons été transparents. Nous aurions aimé que tous le soient, car c’était ça, le but de l’exercice : connaître la vérité», a observé Mme Dubé, en précisant que la famille place toute sa confiance en la coroner et qu’elle a «espoir que l’histoire de Joyce sera respectée et honorée».

«Quelle belle vague d’amour», a ajouté Mme Dubé en présence de quelques centaines de citoyens autochtones réunis à côté du palais de justice de Trois-Rivières. «Justice pour Joyce!»

Pour arriver à un monde de bienveillance et à construire des ponts entre autochtones et allochtones, il y a du travail à faire. Selon l’avocat de la famille Echaquan, Me Patrick Martin-Ménard, il faut que le gouvernement provincial reconnaisse l’existence du racisme systémique, une des deux causes qui expliquent le décès de Joyce Echaquan, l’autre étant la déficience de la gestion à l’urgence de l’hôpital de Joliette.

«L’ironie de la situation est qu’elle est en détresse dans un hôpital. Elle aurait eu plus de chances d’être secourue dans la rue! Il faut revoir la question de la sécurité des patients. Le racisme dont Mme Echaquan a été victime est présent dans le système de santé. La problématique, ce n’est pas seulement ce qu’on entend dans la vidéo. Ce ne sont pas seulement les quelques minutes de propos complètement dégradants. C’est un ensemble de préjugés présents de façon plus subtile dans le quotidien des soins. C’est un véritable changement de culture qui doit être opéré de ce côté-là. Il y a des biais inconscients qui alimentent la façon dont on traite les gens dans le système de santé. Et ça, ça doit changer», a déclaré Me Martin-Ménard qui démontre sa confiance envers les recommandations de la coroner Kamel et qui souhaite que le milieu politique aura assez de volonté et de courage pour les appliquer.

Selon l’avocat, le témoignage le plus crédible à avoir été entendu lors de cette enquête est celui de la voisine de civière de Joyce Echaquan, le matin du 28 septembre 2020. Me Martin-Ménard est d’avis qu’Annie Desroches a livré un témoignage dénué d’intérêt. Mme Desroches a raconté avoir entendu Mme Echaquan manifester clairement sa souffrance, mais que le personnel infirmier avait fait peu de choses pour lui venir en aide. Selon Me Martin-Ménard, ce témoignage est bien plus crédible que celui livré par le personnel de l’hôpital marqué par des trous de mémoire et des contradictions.

Me Patrick Martin-Ménard, avocat de la famille de Joyce Echaquan, et Solange Dubé, porte-parole de la famille.

«Personne ne s’occupe des Atikamekw»

Me Jean-François Arteau est allé droit au but dans ses représentations. L’avocat représentant le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la nation atikamek est d’avis que Joyce Echaquan est morte le 28 septembre 2020 parce qu’elle était une Atikamekw, et non pas parce qu’elle souffrait de différentes maladies. Le personnel de l’urgence s’est laissé influencer par les préjugés en posant un diagnostic de sevrage découlant d’une narcodépendance chez Joyce Echaquan, ce qui est faux, avance-t-il.

«C’est une Atikamekw, elle vient souvent, elle a 37 ans, elle a sept enfants, c’est une junkie! Vers 10 h, Joyce est agitée. C’est théâtral, elle agit comme une enfant. C’est du racisme systémique. Personne ne s’occupe des Atikamekw», avance Me Arteau, qui croit que si Mme Echaquan s’était appelée Jocelyne Tremblay, elle serait toujours en vie.

Tout en invitant la Sûreté du Québec à effectuer un complément d’enquête (la SQ a déjà déclaré qu’il n’y a aucun événement criminel dans cette cause), Me Arteau se dit content du départ de Daniel Castonguay, l’ex-PDG du CISSS de Lanaudière qui a été remercié de ses services en décembre dernier.

«Il dit n’avoir rien à se reprocher. Il peut dire ça dans les yeux de Carol Dubé?», se demande Me Arteau, en soutenant que Josée Roch, ex-infirmière en chef de l’urgence, et son assistante étaient plus préoccupées par le contenu de la vidéo qui commençait à circuler sur les réseaux sociaux que par l’état de Joyce Echaquan.

Dignité humaine arrachée

La dignité humaine a été au cœur des représentations de l’avocate de Femmes autochtones du Québec, Me Rainbow Miller. Citant de nombreux articles des Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, Me Miller a souligné à la coroner Kamel que toute femme autochtone est titulaire des droits fondamentaux de la dignité humaine.

«Tous ces droits ont été bafoués. Toute dignité humaine a été arrachée à Mme Echaquan parce qu’elle était une femme autochtone, parce qu’elle n’en valait pas la peine.»

Joyce Echaquan avait des appréhensions concernant ses visites à l’hôpital. Les Atikamekw sont reconnus pour attendre des semaines avant de se présenter aux urgences même s’ils ont un problème de santé, car la peur de subir une mauvaise expérience est grande.

«La discrimination basée sur des préjugés est présente. Les préjugés ont affecté la qualité des soins. Ça a mené au décès de Mme Echaquan», a ajouté Me Miller, en soulignant que le constat de sevrage posé à l’égard de cette dernière a été fait sans évaluation rigoureuse.

«Ça démontre que le racisme systémique a biaisé l’évaluation de sa condition.»

Représentant la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Me Émilie Gauthier a déclaré que ce syndicat reconnaît le racisme systémique et se prépare à adopter le Principe de Joyce. Selon elle, les gouvernements et les institutions ont fait preuve d’indifférence et l’inaction nourrit les comportements racistes. Il faut des mesures concrètes pour enrayer le racisme et des actions concrètes pour bâtir ensemble «la maison de la réconciliation».

Les proches de Joyce Echaquan ont écouté avec attention le message de la coroner Géhane Kamel.

«La vie de Mme Echaquan n’a pas été protégée.»

La FIQ rappelle qu’un courriel a été envoyé à l’ancienne infirmière en chef de l’urgence de l’hôpital de Joliette un mois avant le drame de Joyce Echaquan. Ce courriel dénonçait la surcharge de travail et le manque d’encadrement des candidates à l’exercice de la profession d’infirmière (CEPI). Rappelons qu’une CEPI de niveau collégial était au chevet de Mme Echaquan avant sa mort, alors qu’une règle interne interdit pourtant à ce type d’employé de s’occuper de patients instables.

«Il a fallu un mort pour que les choses commencent à bouger», a observé Me Gauthier.

Établir des ponts

Alors que Me Franccesca Cancino, du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS de Lanaudière (CSN), estime que la communication doit être améliorée, que des échanges entre les autochtones et les allochtones sont nécessaires pour mieux se comprendre et qu’une réorganisation du travail est nécessaire, Mme Anne Bélanger, représentant le Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière, a raconté que le CISSS est déjà en action pour éliminer les manquements sur l’organisation du travail. Selon Me Bélanger, il y a présence de préjugés et de discrimination envers les autochtones parmi le personnel.

«Le CISSS doit déconstruire les préjugés et éradiquer la discrimination.»

Me Bélanger a rappelé le congédiement d’une infirmière et d’une préposée aux bénéficiaires pour les propos désobligeants prononcés à l’endroit de Joyce Echaquan, la tenue d’enquêtes internes, la nomination récente d’un membre de la communauté atikamekw au conseil d’administration du CISSS et la nomination d’un adjoint à la présidente et directrice générale aux relations autochtones.

«Il faut se tourner vers l’avenir pour établir des ponts.»

Me Conrad Lord, avocat de l’infirmière congédiée pour des propos dégradants, a fait le constat que le milieu de la santé est très hiérarchisé. La présence de nombreux paliers administratifs fait en sorte que les besoins immédiats sont dilués. De plus, il y a un problème de gestion, soutient-il. Une réorganisation s’impose.

Les mémoires des procureurs doivent être déposés d’ici le 2 juillet. Il n’y a pas de délai prescrit pour la remise du rapport de la coroner.

Notes biographiques sur Géhane Kamel

Formation

Membre du Barreau du Québec

Université du Québec à Montréal

2003
Baccalauréat en droit

Cégep de Saint-Jérôme

1991
Diplôme d’études collégiales en technique d’éducation spécialisée

Expérience professionnelle

Institut de cardiologie de Montréal

Depuis 2015
Avocate en droit du travail, de la santé et corporatif – Direction des ressources humaines, des communications et des affaires juridiques
2014 – 2015
Avocate en droit de la famille et du travail en pratique privée
Le Centre jeunesse de Montréal
2007 – 2014
Coordonnatrice aux conditions de travail, aux relations de travail et en santé et sécurité
2004 – 2007
Conseillère cadre au Bureau de l’accès à l’information et auprès du commissaire adjoint aux plaintes et à la qualité des services
1987 – 2004
Éducatrice spécialisée, responsable de stage

Source : Le Nouvelliste