Affaire Uniprix : la Cour suprême du Canada reconnaît la validité d’une clause de renouvellement « à perpétuité »!

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Affaire Uniprix : la Cour suprême du Canada reconnaît la validité d’une clause de renouvellement « à perpétuité »!

Par un important (et fort médiatisé) jugement de 93 pages rendu vendredi dernier, le 28 juillet 2017, dans l’affaire Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc. (que vous pouvez lire en cliquant ici), dans une décision partagée à six contre trois, le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême du Canada, a maintenu la validité d’une clause de renouvellement ne comportant aucune limite quant au nombre de renouvellements.

Par ce jugement, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel logé par Uniprix inc. d’un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec (que vous pouvez aussi lire en cliquant ici) qui, le 11 septembre 2015 avait, dans une décision aussi partagée à deux contre un, rejeté l’appel formulé par Uniprix inc. d’un jugement initialement rendu le 13 décembre 2013 par la Cour supérieure du Québec (que vous pouvez également lire en cliquant ici) jugeant valide et exécutoire la clause suivante de renouvellement stipulée dans la convention d’affiliation Uniprix :

« (…) Le Membre devra, six (6) mois avant l’expiration de la convention, faire signifier à la Compagnie son intention de quitter la Compagnie ou de renouveler la convention;

À défaut par le Membre d’envoyer l’avis prescrit par poste recommandée, la convention sera réputée renouvelée selon les termes et conditions alors en vigueur. »

Comme vous pouvez le constater, cette clause ne limite aucunement le nombre de fois pour lequel cette convention d’affiliation peut se renouveler, soit sur avis du « Membre » soit, encore, à défaut par le « Membre » d’envoyer l’avis prescrit.

Dans cette affaire, après qu’un contrat d’affiliation conclu en 1998 entre Uniprix inc. et un affilié, Gestion Gosselin et Bérubé inc., se soit ainsi renouvelé en 2003 et 2008, Uniprix inc. a transmis à son affilié, le 26 juillet 2012, un avis dans lequel elle écrivait notamment ce qui suit :

« Nous vous avisons que le renouvellement automatique de votre contrat d’affiliation du 28 janvier 1998 a été stipulé en faveur d’Uniprix inc. qui n’a pas l’intention de s’en prévaloir.

En conséquence, nous vous avisons formellement que votre convention d’affiliation prendra fin le 28 janvier 2013. »

La preuve a par la suite démontré qu’Uniprix inc. avait loué un autre local à proximité de celui afin d’y implanter une nouvelle pharmacie que son affilié ne souhaitait par ailleurs pas exploiter dans ce nouveau local.

Devant cette situation, l’affilié a déposé contre Uniprix inc. une requête en jugement déclaratoire et en injonction par laquelle il demandait à la Cour supérieure du Québec de déclarer que, conformément à sa clause de renouvellement, son contrat d’affiliation était bien renouvelé jusqu’au 28 janvier 2018.

En défense à cette requête, les procureurs d’Uniprix inc. ont notamment plaidé que, si cette clause devait être interprétée comme stipulant un nombre illimité de renouvellements, elle serait illégale puisqu’elle ferait de ce contrat un « contrat perpétuel ».

Dans un son jugement, la Cour supérieure avait maintenu, dans les termes suivants, la validité de cette clause :

« De plus, le Tribunal est d’avis que cette clause est parfaitement valide comme clause de renouvellement de la convention d’affiliation au gré du membre. Elle est valide pour une raison bien simple. Elle n’est pas contraire aux lois prohibitives ni à l’ordre public. La liberté contractuelle s’accommode depuis longtemps de ce genre de clause.

L’argument du procureur de la défenderesse à l’effet qu’une telle interprétation rend cette clause illégale parce que perpétuelle est donc sans fondement.

De surcroît, l’analyse de l’ensemble du contrat d’affiliation justifie parfaitement que les parties aient jugé opportun de conférer au membre le droit de renouveler la convention à son gré, tous les cinq ans. »

Uniprix inc. avait porté cette décision en appel.

Le 11 septembre 2015, la Cour d’appel du Québec avait rendu un jugement rejetant cet appel d’Uniprix inc. et maintenant la décision de la Cour supérieure du Québec déclarant valide la clause de renouvellement sans limite quant au nombre de renouvellements stipulée dans le contrat d’affiliation Uniprix.

Après avoir obtenu la permission de la Cour suprême du Canada (tout appel devant ce tribunal ne pouvant être logé qu’après que celui-ci en ait donné l’autorisation), Uniprix inc. a donc porté toute cette affaire en appel devant ce plus haut tribunal du pays.

Or, par son jugement du 28 juillet dernier, la Cour suprême du Canada rejette à son tour l’appel d’Uniprix inc. et maintient les décisions rendues tour à tour par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec relativement à la clause de renouvellement sans limite quant au nombre de renouvellements stipulée dans le contrat d’affiliation signé par Gestion Gosselin et Bérubé inc.

Voici quelques commentaires intéressants tirés de ce jugement autant à l’égard de l’interprétation d’un contrat que d’une clause dont les effets pourraient être perpétuels :

« [4] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi. Le juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son exercice d’interprétation du contrat. Bien au contraire, la faculté de renouvellement unilatérale que le contrat d’affiliation accorde aux pharmaciens-membres est cohérente avec les autres dispositions du contrat, le contexte entourant sa signature et son objet, ainsi que le comportement des parties dans son application. Rien en droit québécois n’empêche les parties de convenir d’un tel mécanisme, et ce, malgré ses effets potentiellement perpétuels.

[68] Somme toute, peu importe l’angle sous lequel on analyse la situation, le juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en concluant que le contrat d’affiliation est à durée déterminée et que sa clause 10 donne aux pharmaciens-membres la faculté unilatérale de le renouveler à tous les cinq ans, sans qu’Uniprix ne puisse s’y opposer. Puisque le contrat n’est pas à durée indéterminée, Uniprix ne peut le résilier moyennant un préavis raisonnable, et il n’est pas possible d’appliquer l’art. 1512 C.c.Q. pour lui fixer un terme.

[70] […] Comme l’ont conclu la Cour supérieure et les juges majoritaires de la Cour d’appel, rien dans le Code n’interdit les effets potentiellement perpétuels d’un contrat tel que le contrat d’affiliation. Rien ne permet non plus de conclure que ces contrats sont contraires à l’ordre public.

[92] […] Dans un contexte de partenariat corporatif et commercial comme celui qui unit Uniprix et les pharmaciens-membres, que le contrat laisse la faculté de renouvellement à l’entière discrétion d’un des contractants ne choque pas l’ordre public. La liberté individuelle des contractants n’est pas en jeu et l’ordre public ne saurait faire échec à la volonté des parties. Comme le suggèrent les professeurs Lluelles et Moore, « [d]ans les contrats où l’ordre public n’exerce aucune pression significative, comme le bail commercial ou les contrats de distribution ou de franchise, la clause n’accordant cette faculté qu’à un seul contractant devrait être légale » (no 2196).

[105] Rien ne permet d’écarter la conclusion du juge de première instance selon laquelle le contrat d’affiliation est à durée déterminée et permet uniquement aux pharmaciens-membres de le renouveler à l’arrivée de chaque terme. C’est à bon droit que la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel ont conclu que les parties au litige ont voulu se lier par un mécanisme de renouvellement dont les effets peuvent être perpétuels. Ce mécanisme de renouvellement est tout à fait légal, puisque la durée du type de contrat qui les lie n’a pas été limitée par le législateur québécois et que le caractère potentiellement perpétuel des obligations qu’il impose ne répugne pas et ne contrevient pas à l’ordre public en droit civil québécois. En conséquence, l’avis de non-renouvellement envoyé par Uniprix est contraire aux termes du contrat d’affiliation et est inopposable aux pharmaciens-membres. Puisque ce contrat n’est pas à durée indéterminée, Uniprix ne pouvait pas le résilier sans cause moyennant un préavis raisonnable, comme elle a tenté de le faire. »

En sus de ses commentaires et de sa décision à l’égard de la question du caractère potentiellement perpétuel de la clause de renouvellement stipulée dans cette convention d’affiliation, la Cour suprême du Canada a aussi profité de ce jugement pour rappeler que les tribunaux n’ont pas à interpréter une clause d’un contrat lorsque celle-ci est claire.

Cependant, toujours selon la Cour suprême du Canada, la réponse à la question de savoir si une clause d’un contrat est claire et ambiguë ne dépend pas seulement du texte de la clause elle-même, mais peut aussi parfois tenir compte de sa cohérence avec les autres dispositions du contrat, du contexte entourant sa signature et son objet ainsi que du comportement des parties dans son application.

Selon la Cour suprême du Canada, « Si les termes du contrat sont clairs, le rôle du tribunal se limite à les appliquer à la situation factuelle qui lui est soumise ».

Pour la vaste majorité des réseaux de franchises, de bannières et d’affiliation, une clause de renouvellements illimités n’est pas souhaitable, et ce, pour bien des raisons.

Par contre, selon ce jugement de la Cour suprême du Canada, une telle clause n’est pas illégale et, lorsqu’elle se retrouve dans un contrat, le franchiseur ou le groupement est tenu de s’y conformer.

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

Jean