Au Dîner de l’Association des Juristes Italo-Canadiens du Québec le 29 mai 2015

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Au Dîner de l’Association des Juristes Italo-Canadiens du Québec le 29 mai 2015

Présentation de Me Giuseppe Battista

Par Me Louis Belleau

Buona serra a tutti
Me chiamo Bello

Dans un monde où Harvey Specter représente l’archétype de l’avocat idéal, c’est réconfortant de savoir qu’il y a encore quelques avocats un peu démodés qui vivent et qui travaillent en fonction de valeurs tout aussi démodées comme la courtoisie, la modestie, la persévérance et l’amour du travail bien fait.

Giuseppe Battista est l’un de ces individus.

Jamais d’éclats, jamais à la recherche des projecteurs, toujours à son affaire il gagne souvent, en fait presque tout le temps, dans la discrétion.

Nous avons commencé à travailler ensemble dans les années 90 à la fin de la Commission Poitras qui avait enquêté sur le plantage de preuve par la SQ dans le célèbre dossier des frères Matticks.

La Commission avait demandé à la population de lui faire part de n’importe quelle plainte qu’elle aurait pu avoir contre la SQ.

La Commission a ouvert une soixantaine de dossiers et c’est Joe Battista qui a été chargé de les étudier.

C’est 60 dossiers qui n’avaient aucun rapport avec le mandat de la Commission et que Joe a dû éplucher un par un avec les enquêteurs de la Commission.

Parmi ces 60 dossiers, il y en a un seul qui a retenu l’attention de la Commission, un dossier de la ville de Val d’Or. C’est celui de Hugues Duguay et Billy Taillefer qui étaient en prison depuis huit ans après avoir été condamnés pour le meurtre d’une jeune fille de 14 ans. Tout le monde était content qu’ils soient en prison.

Par chance, le dossier était encore intact et la Commission a pu examiner les caisses de documents de l’époque. C’était évidemment un travail de moine bénédictin.

Parmi les caisses de documents, se trouvait une quantité de pièces qui pointaient vers l’innocence des deux accusés. Des déclarations de témoins qui contredisaient les témoins de la poursuite, des documents qui montraient que les policiers avaient fabriqué des confessions. On était dans un cas clair d’erreur judiciaire.

Suite au travail de Joe, la Commission a recommandé à la Ministre de la justice du temps de permettre que le dossier soit rouvert et la Cour d’appel en a été saisie. L’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême et les condamnations de Duguay et Taillefer ont été annulées.

S’il n’y avait pas eu l’affaire Matticks, s’il n’y avait pas eu la Commission Poitras et surtout, s’il n’y avait pas eu Joe Battista, Duguay et Taillefer seraient encore en prison aujourd’hui.

Personne ne sait que Joe a été l’instrument du succès de cette affaire-là. Personne ne sait le travail de moine qu’il a fait simplement pour que le dossier soit réexaminé.

La modestie, la persévérance et l’amour du travail bien fait.

Pur Battista.

Je pourrais vous citer des exemples toute la soirée. Mais je pense que vous saisissez le thème général.

Il a perfectionné l’adage qui veut que pour être bien préparé il faut retourner chaque pierre. Selon Joe, il faut retourner chaque pierre au moins deux fois.

Quelques minutes pour vous parler de sa carrière.

Joe Battista a commencé, comme avocat de la défense au bureau de l’aide juridique de Montréal.

Il y est resté quelques années et lorsqu’il a quitté l’aide juridique pour la pratique privée, il était devenu un avocat redoutable.

Par contre, il n’avait pas beaucoup développé le sens des affaires.

Ça s’explique par un certain nombre de raisons qui sont reliées les unes aux autres et surtout aux grandes qualités de générosité, d’altruisme et de modestie de Giuseppe.

D’abord, il est diplômé de l’UQAM. Aujourd’hui, l’UQAM est un peu un objet de controverse, mais dans ce temps-là, il n’y avait aucune controverse sur cette université. Tout le monde savait, à l’époque, que l’UQAM ne produisait que des anarchistes, des bons à rien qui étaient une menace pour la paix sociale et l’ordre établi.

Quelques exemples :

Denis Mondor, Jean Asselin, Eric Vanchestein, Alain Brillon, Ruth Veillet, Dominique Larochelle, Claude Lachapelle, ex directeur des poursuites criminelles et pénales, Guy Cournoyer, Juge à la Cour Supérieure de Montréal, et enfin Yves-Marie Morissette, Juge à la Cour d’Appel du Québec.

Un foyer d’anarchistes.

D’ailleurs, si vous le regardez, vous allez voir une ressemblance certaine avec le Professore Sinigaglia joué par Marcello Mastroiani dans un film de Mario Monicelli qui s’appelait «I Compagni».

Le «professore» avait organisé une grève pour faire réduire la journée de travail des ouvriers de 14h à 13h – imaginez- vous.

Les mêmes petites lunettes d’intellectuel de gauche, la barbe de gauchiste.

Alors vous imaginez que le sens des affaires…

Pendant ses études, Joe était très studieux. Il a fait des lectures qui lui ont enseigné que dans la société romaine antique, ce sont les patriciens, les aristocrates qui agissaient gratuitement comme conseillers juridiques pour les citoyens de Rome qui n’avaient pas les connaissances pour se représenter devant la justice. Quel bel idéal.

Joe a toujours aimé ce concept. Et au plus profond de lui, il voudrait bien ne pas avoir à se préoccuper de choses aussi vulgaires que d’envoyer des comptes d’honoraires.

Par chance, Joe est devenu l’associé de Me Richard Shadley qui a passé beaucoup de temps à enseigner à Joe que «charité bien ordonnée commence par soi-même».

C’est une association qui dure depuis une vingtaine d’années et Me Shadley continue d’espérer qu’il va réussir à convaincre Joe, un jour, de renoncer à ses voeux de pauvreté.

On dit qu’on ne devient pas un vrai bon avocat de la défense avant d’avoir gagné dix causes qu’on aurait dû perdre et d’en avoir perdu dix qu’on aurait dû gagner.

J’ai le regret de vous dire que Joe ne passe pas le test.

Il a gagné beaucoup de causes qu’il aurait dû perdre – ce n’est pas ça le problème. C’est qu’il ne perd jamais de causes qu’il aurait dû gagner.

Tu te rappelleras, Joe, que je suis loin en avance sur toi dans cette catégorie-là.

D’ailleurs, je le dis sans aucune forme de jalousie, lorsque Joe Battista ne trouve pas de moyen de défense reconnu en droit, il en invente un, comme par exemple, «l’intoxication extrême» – souvenez-vous de la cause de Daviault – qu’il fait approuver par la Cour suprême du Canada!

Depuis des années, Joe est la personne ressource au Barreau lorsqu’on a besoin d’un avis sur le droit criminel ou sur les questions éthiques.

Il a fait partie de tous les comités possibles et imaginables et a agi comme avocat du Barreau du Québec devant les tribunaux. Imaginez : l’avocat de tous les avocats du Québec.

C’est un homme de famille qui est né ici de parents immigrés de la région de Molise.

Sa femme, Violette, est une artiste remarquable et ses fils, Samuel et Dominic, sont une source de fierté.

Joe et moi sommes allés à la guerre quelques fois, et je dois vous dire qu’il a toujours été pour moi une source de sagesse, de courage et de connaissance aussi.

Et plus encore, c’est le «fun» de travailler avec lui. Et de rigoler avec lui, parce qu’il ne dit jamais non à un bon verre de Chianti.

Joe Battista a été pour moi un ami loyal et généreux depuis très longtemps. C’est un juriste remarquable, mais surtout et c’est ce qui est le plus important:un gentleman.

Et il mérite absolument l’honneur que l’association lui fait ce soir.

Mon cher Joe, Félicitations.