Canada : Trois fabricants de tabac contraints de payer 32,5 milliards de dollars canadiens dans le cadre d’un règlement judiciaire historique

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Canada : Trois fabricants de tabac contraints de payer 32,5 milliards de dollars canadiens dans le cadre d’un règlement judiciaire historique

Au Canada, trois fabricants de tabac devront payer près de 25 milliards de dollars canadiens aux provinces et territoires et plus de 4 milliards de dollars à des dizaines de milliers de fumeurs québécois et à leurs proches dans le cadre d’un nouvel accord proposé à l’issue d’une longue bataille juridique. 2,5 milliards supplémentaires seront reversés aux Canadiens ayant reçu un diagnostic d’une maladie liée au tabac entre 2015 et 2019.

Une proposition d’accord établie par voie de médiation a été déposée jeudi devant un tribunal de l’Ontario à l’issue d’une longue procédure de cinq ans. Les sociétés – JTI-Macdonald Corp., Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada Ltd. – avaient utilisé la modalité de demande de protection à l’égard de leurs créanciers en Ontario au début de 2019 après avoir perdu en appel dans le cadre d’une action en justice historique au Québec[1].

La proposition établie doit encore franchir plusieurs étapes avant d’être mise en œuvre, notamment le vote d’approbation des créanciers et une décision favorable du tribunal. La plupart des créanciers ont déjà exprimé leur soutien officiel au plan. Un vote final sur l’accord est attendu d’ici le 12 décembre. S’il est approuvé, la décision du tribunal pourrait être prononcée au début de l’année 2025.

Les consommateurs non-avertis des risques liés à la consommation de tabac

Les trois fabricants de tabac devront payer 32,5 milliards de dollars pour régler des litiges, notamment un jugement historique rendu en 2015 par la Cour du Québec. La décision avait été rendue à l’issue d’un procès marqué par 251 jours d’audience. Les preuves à l’encontre des prévenus comprenaient des documents internes des entreprises montrant que les fumeurs ne connaissaient pas ou ne comprenaient pas les risques liés aux produits du tabac qu’ils utilisaient. La Cour supérieure du Québec avait jugé que les fabricants n’avaient pas averti leurs clients et les avait condamnés à payer des milliards de dollars de dommages et intérêts. À l’époque, JTI-Macdonald avait déclaré que les preuves présentées au tribunal ne justifiaient pas les conclusions de la cour.

En 2016, les fabricants de tabac avaient fait appel du premier jugement. Après la confirmation de ce dernier par la cour d’appel du Québec, JTI-Macdonald avait déclaré qu’elle avait respecté toutes les lois et affirmé que les Canadiens, depuis les années 1950, étaient « très conscients » des risques du tabagisme pour la santé. Les sociétés Rothmans, Benson & Hedges avaient pour leur part indiqué qu’elles formeraient un recours devant la Cour suprême. Ce qui n’a pas été le cas. A la place, les trois sociétés de tabac ont demandé peu après cette décision la protection des tribunaux contre les créanciers.

Un règlement le plus important au monde en dehors des États-Unis

Dix provinces et trois territoires, engagés dans la procédure et soucieux de faire prendre en charge par les fabricants une partie des coûts des soins de santé causés par les maladies attribuables au tabagisme, devraient recevoir 24,8 milliards de dollars canadiens de JTI-Macdonald Corp, Rothmans, Benson & Hedges Inc et Imperial Tobacco Canada Ltd dans le cadre de l’accord supervisé par un médiateur et déposé jeudi 17 octobre en fin de journée au tribunal de l’Ontario.

Les membres de deux recours collectifs au Québec devraient recevoir 4,25 milliards de dollars. Cela concerne environ 100 000 personnes réunies et connues sous le vocable de l’affaire Blais-Létourneau, gagnée devant le tribunal en 2015 et confirmée en appel en 2019. Les particuliers pourraient être dédommagés jusqu’à 60 000 dollars. 2,521 milliards de dollars additionnels seraient versés aux fumeurs du reste du Canada qui ont reçu un diagnostic de cancer du poumon, de cancer de la gorge ou de maladie pulmonaire obstructive chronique entre mars 2015 et mars 2019.

Rob Cunningham, avocat de la Société canadienne du cancer, a déclaré que l’accord proposé est jusqu’à présent « le règlement proposé le plus important au monde en dehors des États-Unis » dans une affaire d’action collective de ce type. L’accord proposé prévoit que les entreprises versent plus d’un milliard de dollars à une fondation destinée à lutter contre les maladies liées au tabac. Mais, contrairement à l’accord mondial conclu avec les fabricants de tabac aux États-Unis à la fin des années 1990, il ne comprend pas de mesures politiques visant à réduire la consommation de tabac ni l’obligation de divulgation publique de documents, a-t-il précisé.

Aux États-Unis, à la fin des années 1990, les fabricants de tabac avaient en effet conclu un accord avec les États américains et avaient dû payer plus de 200 milliards de dollars sur 25 ans. L’accord canadien de jeudi s’inscrit en partie dans ce cadre.

Un accord qui manque de transparence et demeure partiel selon des associations

Les négociations entre les fabricants de tabac et leurs créanciers sont restées confidentielles.  Plusieurs associations de santé ont fait valoir que le manque de transparence entourant les négociations avait profité aux fabricants au détriment des autres parties prenantes.

Trois associations – Action on Smoking & Health, Physicians for a Smoke-Free Canada et la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac – ont déclaré que des documents déposés récemment au tribunal suggéraient que les provinces avaient accepté un dispositif qui accordait aux trois fabricants de tabac un droit de veto sur l’accord final.

Les organisations ont constamment exhorté les provinces à imposer des réglementations et des mesures de réduction du tabagisme dans le cadre d’un accord avec les entreprises. Certaines organisations, dont la Société canadienne du cancer, ont également demandé que l’accord prévoie la divulgation au public de documents internes des entreprises.