Comment j’ai gagné le plus grand pari de ma vie

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Comment j’ai gagné le plus grand pari de ma vie

Me Manon Estienne, nouveau membre du Barreau du Québec. De la Côte d’Azur en France, elle a choisi le Québec pour pratiquer le droit.

 

Par Me Manon Estienne

Comment ai-je atterri ici, dans la capitale canadienne de la COVID-19 ? Revenons à l’année 2015. Je venais de finir mes études après avoir obtenu une double licence de droit et d’administration publique dans ma France natale, ainsi que deux masters, par lesquels je me suis spécialisée en droit international public et en sécurité internationale, défense et intelligence économique. J’avais également eu l’opportunité de travailler au cours de mes études à l’Institut International de droit humanitaire à Sanremo, en Italie, puis au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye, aux Pays-Bas. Et me voilà, avocate exerçant à Montréal… et j’en suis très contente !

Après mes expériences à l’étranger, j’avais l’envie d’élargir mes horizons et de pratiquer le droit à l’extérieur de la France. De plus, mon grand-père, qui a lui-même immigré au Canada et était devenu citoyen canadien, nous a toujours transmis son attachement pour la Belle Province et nous a poussé à venir à notre tour pour la découvrir et nous y établir. C’est ainsi que le désir d’accomplir sa volonté m’a naturellement poussé à traverser l’Atlantique et à faire l’un des plus grands paris de ma vie.

Je redeviens ainsi étudiante en 2017 et intègre l’Université de Montréal seulement trois jours après mon arrivée au Canada. J’ai constaté qu’étudier le droit au Québec était très différent de ce que j’avais connu en France. Ici, les professeurs semblent se soucier de chaque étudiant et prennent le temps de nous rencontrer et d’échanger. Cette approche québécoise a été quelque peu insolite sur le coup, mais s’est révélée être une excellente formation pour la pratique du droit.

Puis à l’hiver 2019, après avoir validé mes équivalences à l’UdeM, j’ai commencé la formation du Barreau. Concours de plaidoiries, stages à l’étranger, expérience universitaire, rien de tout ça ne m’avait préparé aux quatre mois éprouvants que me réservait l’École du Barreau du Québec, les quatre mois les plus intenses de ma vie. Mais toujours aussi déterminée, j’ai réussi l’examen du premier coup, ce qui entre nous a été une délivrance car l’idée de devoir les repasser à nouveau m’horrifiait !

Le Barreau en poche, j’avais encore un nouveau défi à relever. Et trouver un stage au Québec n’a pas été une tâche facile. Pourtant, sur 23 candidats en lice, j’ai obtenu mon stage au sein du cabinet Charness Charness et Charness LLP. Fondé en 1925, il s’agit d’un des plus anciens cabinets d’avocats au Canada et est spécialisé en droit civil et commercial. Bien qu’il s’agisse d’un ancien cabinet d’avocats à la réputation bien établie, la grande majorité des employés et des avocats sont jeunes et dynamiques, ce qui a facilité mon intégration. Ils m’ont appris à travailler en équipe et m’ont formé à la pratique de la profession. Les semaines passaient, les dossiers s’enchainaient et j’aimais l’expérience que m’apportait mon stage.

Puis, quasiment arrivée à la fin de mon stage, la COVID-19 a frappé et le monde a basculé. Je me souviendrai longtemps de ce jour du 14 mars 2020, lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré. S’en est suivi la fermeture des tribunaux ainsi que la décision du cabinet de passer en télétravail et mon stage s’est retrouvé tout à coup menacé. Finalement, grâce au travail de l’ensemble des avocats, mon stage a pu être maintenu et notre équipe est restée intacte malgré la crise inédite que nous vivions. Les réunions en visioconférence étaient devenues la norme et il a fallu s’adapter à cette nouvelle façon de travailler 100% numérique, qui a nécessité une certaine rigueur.

Mon stage a pris fin le 15 mai 2020, alors que nous étions encore en plein confinement. De ce fait, pas00 de traditionnelle cérémonie d’assermentation, repoussée en raison des restrictions sanitaires. Le Barreau a alors mis en place un système pour pallier l’absence de cérémonie et nous permettre d’exercer… qui s’est révélée être une cérémonie virtuelle.

Je suis donc désormais avocate au Québec, en pleine crise de la COVID-19. Je réalise que j’ai été chanceuse d’avoir pu conserver mon stage durant cette période et davantage d’avoir été embauchée comme avocate junior au sein de Charness Charness et Charness LLP.

Avec la réouverture des tribunaux et la levée de la suspension des délais légaux, le cabinet a décidé d’occuper à nouveau les locaux et nous y sommes désormais une partie de la semaine. Nous tournons par équipe afin de limiter le nombre de personnes présentes et travaillons à distance le reste du temps. Les tribunaux ont eux aussi mis en place toute une procédure visant à limiter le nombre de personnes présentes en salles d’audience, ce qui a quelque peu rallongé les délais d’attente dans les couloirs ! Je suis convaincue que le Ministère de la Justice réfléchit sur la transformation de la machine judiciaire afin de la faire évoluer dans ce monde post-Covid et à la numériser davantage. Nous nous adaptons ainsi à ce nouveau virage et j’apporte toute ma contribution afin d’aider notre cabinet vieux de 95 ans à s’imposer dans cette nouvelle ère. Affaire à suivre !