Conjuguer éthique, déontologie et démocratie – Le Barreau du Québec présente son mémoire à la Commission Charbonneau

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La crise de confiance entraînée par les nombreux scandales de collusion et de corruption dans l’industrie de la construction commande d’adopter des mesures fermes et d’améliorer certaines législations. C’est ce que le Barreau du Québec établit d’entrée de jeu dans son mémoire déposé ce matin à la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC), alors que ses représentants ont détaillé devant les commissaires les vingt-trois recommandations de l’Ordre.

« Une saine gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction exige de conjuguer l’éthique, la déontologie et les valeurs démocratiques », a déclaré le bâtonnier du Québec, Me Bernard Synnott, devant la CEIC. Le Barreau du Québec souhaite que des critères objectifs, transparents et précis soient établis et mis en application afin de décourager la collusion et la corruption. « Nous devons collectivement favoriser le développement d’une culture de transparence et d’imputabilité dans le processus d’octroi et de gestion des contrats publics et prioriser la mise en place de mécanismes de contrôle démocratique appropriés, a exposé Me Synnott. À cet égard, la dénonciation doit être comprise comme étant l’affaire de tous les citoyens. La lutte contre la corruption et la collusion est une responsabilité collective qu’il faut encourager et protéger. »

Le Barreau rappelle que les ordres professionnels sont les gardiens du lien de confiance entre le public, les professionnels et les institutions démocratiques. En vertu de cette responsabilité, ils doivent promouvoir et valoriser les comportements éthiques auprès de leurs membres. « Les ordres professionnels doivent exercer un rôle de protection du public, mais aussi prendre part à l’élaboration et à la bonification des mécanismes de contrôle pour préserver la confiance du public dans l’application de la règle de droit et dans nos institutions. Nous souhaitons que les recommandations formulées par les différents ordres à la CEIC fassent l’objet d’un suivi par les décideurs », a conclu le bâtonnier Synnott.

Le Barreau du Québec en lutte contre la collusion et la corruption

Pour exercer sa profession, l’avocat doit s’inspirer en toutes circonstances d’un ensemble de valeurs et de principes éthiques et déontologiques. Comme ordre professionnel, le Barreau du Québec a pour sa part le devoir de signaler au législateur les outils qui lui sont nécessaires pour améliorer sa mission de protection du public.

Lors des arrestations d’avocats par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) en mai 2013, le Barreau du Québec a demandé au gouvernement un pouvoir supplémentaire pour permettre au conseil de discipline de suspendre les avocats faisant face à de graves accusations criminelles en lien avec l’exercice de la profession. Le gouvernement a proposé le projet de loi 62, la Loi modifiant le Code des professions pour permettre une suspension ou une limitation provisoire immédiate des activités d’un professionnel. Malheureusement, celui-ci est mort au feuilleton lors de la dissolution du Parlement en avril 2014. Le Barreau recommande que le contenu du projet de loi 62 soit repris dans un nouveau projet de loi et présenté à l’Assemblée nationale.

Prévention et protection des dénonciateurs
La société québécoise doit miser davantage sur la prévention contre la corruption et la collusion et protéger les dénonciateurs. Pour accroître la culture publique éthique, l’éducation citoyenne est certainement de nature à améliorer la culture d’intégrité dans la population en général et à diminuer la tolérance face aux actes de collusion et de corruption dans l’administration publique. Il faut également former davantage et mieux les élus et les fonctionnaires cadres sur l’éthique et la déontologie, les règles relatives à l’octroi et la gestion des contrats, et les responsabilités des administrateurs municipaux.

Le changement de culture souhaitable pour juguler la collusion et la corruption passe par la notion de responsabilité collective. Le Barreau est d’avis que le dénonciateur éthique (whistleblower) doit être davantage protégé par la loi. L’action de dénoncer posée par le dénonciateur éthique doit cesser d’être perçue comme un acte vil et être plutôt comprise comme l’affaire de tous les citoyens. Ce comportement courageux doit être reconnu, juridiquement et politiquement.

La reconnaissance juridique implique que le dénonciateur éthique puisse bénéficier d’un régime de protection adéquat, doté de mécanismes flexibles pour assurer la protection de son identité, de sa sécurité, de son intégrité physique, de la confidentialité des informations transmises, de l’emploi, de la responsabilité civile et pénale et des pertes économiques subies ou à subir. La loi pourrait introduire certaines mesures, notamment un régime de présomption et un renversement du fardeau de la preuve sur les épaules de l’auteur de cette mesure. La reconnaissance politique pourrait impliquer une reconnaissance publique pouvant être civique et professionnelle. Elle pourrait également être assortie de certaines mesures fiscales.

Le Barreau du Québec croit qu’on devrait confier à un organisme indépendant la mission d’assurer un régime de protection du dénonciateur éthique et de reconnaissance de la dénonciation. Cette mission et son accomplissement devraient comporter deux volets : l’enquête et les protections offertes au dénonciateur éthique, et le recouvrement des sommes dont l’État s’est vu privé par la corruption et la collusion.

Intégrité en matière de contrats publics
Le Barreau du Québec a examiné le cadre légal de la gestion des appels d’offre et des contrats publics. Alors que la contribution des ordres et la prévention par la sensibilisation des élus et des citoyens devraient servir de filet de sécurité, la saine gouvernance en matière de contrats publics est impérative pour en resserrer les mailles.

Dans ses recommandations, le Barreau préconise la mise en place d’équipes de ressources multidisciplinaires aptes à conseiller adéquatement les instances administratives municipales lors de la préparation des devis et de l’évaluation des soumissions reçues; la constitution de comités de sélection des soumissions formés de membres compétents et indépendants pour juger de la qualité des offres et de l’adéquation entre celles-ci et les besoins exprimés dans les appels d’offres; l’assujettissement des membres de comités de soutien et de sélection des soumissions à des obligations déontologiques visant principalement l’indépendance et les conflits d’intérêts avec des sanctions en cas d’infraction; et la création d’un régime législatif unique d’appels d’offres pour tous les contrats publics, qu’ils émanent d’un organisme public ou d’une municipalité.

Enfin, le Barreau recommande que la politique de gestion contractuelle des municipalités comporte des mesures visant la production d’un rapport d’évaluation des contrats exécutés à la suite d’un processus de soumissions et ce, de manière à dresser un bilan de l’opération en terme d’objectifs, de délais et de coûts, tout en identifiant les ajustements qui pourraient être requis à l’avenir. Cette politique devrait également prévoir à qui ce rapport doit être transmis et de quelle façon il devra être tenu en compte pour un prochain appel d’offres de contrat.

Réviser la Loi sur les commissions d’enquête
Les commissions d’enquête au Québec agissent en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête, une loi minimaliste dont les dispositions n’ont pratiquement pas changé depuis 1869. Pour le Barreau du Québec, sa révision est nécessaire; dix recommandations de son mémoire y sont consacrées. La révision législative devrait tenir compte des récents développements juridiques considérables et de l’expérience de plusieurs commissions d’enquête importantes au Québec et au Canada.
Le Barreau propose notamment de codifier les grands principes directeurs de la conduite d’une enquête publique : recherche de l’intérêt public, minutie, impartialité, équité, transparence, efficacité, proportionnalité, célérité et efficience. Il faut favoriser la recherche de la vérité, objectif premier d’une commission d’enquête, et assurer une protection adéquate aux citoyens qui collaborent ou sont assignés et qui ainsi permettent de faire la lumière sur un enjeu fondamental de notre société.

Le Barreau estime qu’une immunité civile et criminelle est prévue dans la Loi sur les commissions d’enquête et que l’immunité bénéficie également à toute personne témoignant devant une commission d’enquête, qu’elle ait été assignée ou non. La Loi sur les commissions d’enquête devrait également prévoir une protection en matière d’emploi pour les personnes qui acceptent de collaborer ou qui sont convoquées devant une commission d’enquête.

Le Barreau du Québec est d’avis que la Loi sur les commissions d’enquête ne doit pas permettre de pouvoir contraindre des témoins à huis clos ou ex parte dans le seul but de recueillir la preuve au préalable. Les commissaires ne doivent pas entendre de témoins en l’absence des participants et des intervenants.

La Loi sur les commissions d’enquête doit reconnaître le principe de la publicité des débats dans le cadre d’une enquête décrétée comme étant publique en vertu de la Loi. Par ailleurs, la Loi devrait également prévoir la possibilité pour une commission d’enquête d’émettre des ordonnances de confidentialité en vue de protéger, si nécessaire, les intérêts des personnes qui viennent témoigner ou de celles qui sont visées par un témoignage. Enfin, la Loi devrait prévoir un pouvoir général pour une commission d’enquête d’assurer la sérénité de ses travaux d’enquête avec pour objectif de favoriser la recherche de la vérité. La Loi pourrait prévoir un cadre concernant les délais de diffusion et l’usage de l’image de la commission ou de ses officiers à des fins commerciales.

Rappelons que le Barreau du Québec a obtenu le statut d’intervenant auprès de la CEIC et a assisté à tous les travaux de celle-ci.

Le Barreau du Québec
Le Barreau du Québec est l’Ordre professionnel de quelque 25 000 avocats et avocates. Ses positions sont adoptées par ses instances élues à la suite d’analyses et de recommandations de ses comités consultatifs. Afin d’assurer la protection du public, le Barreau du Québec surveille l’exercice de la profession, fait la promotion de la primauté du droit, valorise la profession et soutient ses membres dans l’exercice du droit.