Décès de Lucie Lemonde
La perte d’une militante des droits humains exceptionnelle…
C’est avec grande tristesse que la Ligue des droits et libertés (LDL) a appris le décès de Lucie Lemonde, survenu le 7 février 2022.
Madame Lemonde a été présidente de la LDL de 1994 à 2000. Militante déterminée à assurer l’avancement des droits humains et à en dénoncer les reculs, elle a poursuivi jusqu’à ce jour son engagement au sein de l’organisation de défense des droits humains.
Reçue au Barreau en 1974, elle a, dès le début de sa pratique, dénoncé les conditions de détention dans les centres de détention et mené plusieurs luttes notamment devant les tribunaux en faveur de la reconnaissance des droits des détenu-e-s, alors que le droit carcéral était inexistant. Plus tard, elle est également intervenue pour dénoncer les pratiques d’enfermement des mineurs ainsi que la détention des demandeurs d’asile. Elle a obtenu un doctorat en droit de l’Université de Montréal en 1995 et est devenue professeure au département des sciences juridiques de l’UQÀM, le tout sans pour autant délaisser l’arène militante. La défense des droits humains a été au cœur de sa pratique, de ses enseignements et de ses recherches.
Elle a joué un rôle central dans de multiples actions menées par la LDL en faveur de la liberté d’expression, notamment pour dénoncer les violations de droits durant le Sommet des Amériques en 2001, lors du G20 en 2010 à Toronto ou du Printemps étudiant en 2012. Elle a apporté son soutien aux représentations de la LDL devant différentes instances internationales dont le Comité contre la torture en 2005 et le Comité des droits de l’homme en 2006. Subséquemment, à la suite des violations de droits survenues lors la rencontre du G20 en juin 2010, elle a mené la démarche de la LDL visant à constituer un dossier à partir des témoignages recueillis auprès de manifestant-e-s et à faire des représentations pour dénoncer ces abus de droits auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, à l’automne 2010.
Elle a poursuivi son engagement en assurant, à la suite du printemps étudiant de 2012, la réalisation du rapport Répression, discrimination et grève étudiante publié au printemps 2013, rapport qui sera suivi en juin 2015, sous sa supervision, par la réalisation collective du rapport Répressions et manifestations. Lucie Lemonde est également à l’origine du projet de la LDL qui vise à fournir à diverses organisations de défense des droits des outils sous la forme d’un guide leur permettant d’analyser la réglementation de leur municipalité portant atteinte au droit de manifester.
Mentionnons en outre le rôle central qu’elle a joué dans les travaux de la LDL en matière de profilage discriminatoire, notamment le profilage politique, et sa participation aux travaux de l’Observatoire sur les profilages.
Au cours des dernières années, Madame Lemonde s’est impliquée sans compter dans la lutte initiée par la LDL et la Fédération des femmes du Québec (FFQ) en dénonçant les conditions de détention et la violation des droits des femmes incarcérées à l’établissement Leclerc. Les interventions menées dans ce contexte ont su rejoindre des pans de la population traditionnellement peu sensibles à la question des droits des détenu-e-s. Elle a suscité une réflexion collective sur les effets discriminatoires du recours à la judiciarisation et à l’emprisonnement.
Aussi, lors du dépôt de différents projets de loi privés visant à restreindre le droit à l’avortement, elle a pris part à diverses interventions visant à affirmer le droit des femmes à la vie, à la santé et à la liberté.
À titre de représentante de la LDL, Madame Lemonde a également occupé les fonctions de vice-présidente de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) de 1997 à 2004 et participé à d’importantes missions internationales d’enquête et de formation de la FIDH, notamment en France sur la situation des étrangers et demandeurs d’asile, en Colombie, au Togo, au Bénin et en Roumanie.
Son travail de défense des droits humains a été reconnu au fil des années. En 2011, elle a reçu une mention d’honneur de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse pour son engagement social. En 2015, Madame Lemonde est devenue récipiendaire du Prix ACFAS Pierre-Dansereau qui vise à « reconnaitre l’engagement social d’un chercheur en vue d’améliorer la qualité de la vie en société. » Finalement, l’Université de Sherbrooke lui a accordé en 2019 un doctorat honorifique en droit pour son rôle de pionnière de la pratique et de l’enseignement du droit carcéral au Québec et au Canada.
Généreuse de son savoir, elle a aussi su intéresser ses étudiant-e-s à des champs et pratiques du droit se situant en dehors des sentiers battus. Plusieurs se sont d’ailleurs engagé-e-s dans différentes pratiques ou professions liées à la défense des droits et libertés ou, encore, se sont impliqué-e-s dans différents mouvements ou organismes œuvrant en faveur des droits humains.
Rien n’est acquis en ce qui concerne les droits humains et la nécessité de demeurer vigilant-e-s est toujours là. Des personnes comme Lucie Lemonde, capables de mesurer les avancées, lorsqu’il y en a, tout autant que de dénoncer les reculs, demeurent essentielles pour assurer la réalisation de ces droits qui sont le fondement d’une société réellement libre et démocratique.