Hydro-Québec, maître d’œuvre incontournable du coûteux projet de Churchill Falls
Selon l’entente historique entre Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, annoncée le 12 décembre, Hydro-Québec devient le maître d’œuvre des projets, le principal acheteur de l’énergie et surtout, la principale source de financement.
Il serait bien difficile de ne pas lui attribuer le rôle de principal créditeur: Hydro-Québec peut financer les projets dans de meilleures conditions et a démontré par le passé sa grande capacité à réaliser des projets d’envergure (centrales, lignes, postes, réhabilitation d’ouvrages) sans dépassements de coûts.
Un financement évalué par des agences
Les projets hydroélectriques d’Hydro-Québec se financent principalement par des émissions d’obligations et de billets à moyen terme.
Ces instruments financiers font l’objet d’une notation de la part de grandes agences. Par exemple, la dette à long terme d’Hydro-Québec se voit attribuer une cote de AA- par l’agence Standard and Poor’s. La cote maximale de cette agence est de AAA.
Une cote de AA- signale aux investisseurs que les obligations d’Hydro-Québec sont jugées de bonne qualité, avec un faible risque de défaut de paiements. Au surplus, la plus grande partie de cette dette est garantie par l’actionnaire, le gouvernement du Québec.
La cote attribuée à Terre-Neuve est de A, soit un cran de moins. Les agences d’évaluation attribuent donc une possibilité plus élevée de risques de défaut. Pour compenser ce risque, les acheteurs d’obligations exigent des taux d’intérêt plus élevés.
Si Terre-Neuve assumait la responsabilité financière des projets de Churchill Falls, la dette à contracter coûterait plus chère, et cela ajouterait des dizaines de millions supplémentaires aux budgets des projets.
Avec l’ampleur des travaux qui s’annoncent, estimés à quelque 25 milliards de dollars, ce financement à meilleur taux par Hydro-Québec signifie des coûts moins élevés des projets, et ainsi un meilleur prix du kilowattheure pour les clients québécois.
L’échec financier du projet de Muskrat Falls
Il n’y a pas que les coûts de financement qui militent pour le leadership d’Hydro-Québec. Depuis quelques années, il existe une grosse tache dans le dossier de Terre-Neuve en matière de réalisation de grands travaux.
En 2023, le projet hydroélectrique de Muskrat Falls, sur la rivière Churchill, a été officiellement complété. Ce projet de 824 mégawatts, commencé en 2013, a connu d’importantes lacunes en matière d’évaluation des coûts, d’échéancier et de gestion des risques. Prévu à 7,5 milliards de dollars, il en a finalement coûté plus de 13 milliards.
Ce dépassement a entrainé la tenue d’une commission d’enquête provinciale, et même amené le gouvernement fédéral à intervenir dans le montage financier du projet.
À l’opposé, le dernier grand projet d’Hydro-Québec, celui du complexe de la Romaine (2009-2022), comportant quatre centrales avec une puissance installée de 1550 mégawatts, s’est réalisé dans les enveloppes budgétaires prévues.
La clé, un approvisionnement garanti à bon prix
En somme, autant sur le plan financier que sur le plan technique, Hydro-Québec devait être positionnée au cœur des projets, comme ce fut le cas pour la centrale actuelle de Churchill Falls, mise en service en 1969, et pour laquelle elle a assumé les principaux risques techniques et financiers.
Certains argueront que la société d’État aurait pu obtenir une plus grande participation à la propriété des actifs. On a opté pour un niveau similaire à celui de la centrale actuelle de Churchill Falls, où Hydro-Québec détient environ le tiers de l’actionnariat.
L’important, toutefois, c’est la garantie à long terme d’un gros volume d’énergie propre, à un prix compétitif, au profit des besoins québécois. Le Québec consolide ainsi sa sécurité énergétique et Terre-Neuve, sa sécurité financière.
Yvan Cliche, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et spécialiste en énergie