Les avantages aux résidences pour aînés, le Code de déontologie des pharmaciens, le Projet de loi 92, le Projet de loi 98 et plus encore : un dédale complexe de règles et d’interdictions!

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Les avantages aux résidences pour aînés, le Code de déontologie des pharmaciens, le Projet de loi 92, le Projet de loi 98 et plus encore : un dédale complexe de règles et d’interdictions!

L’octroi d’avantages à une résidence pour aînés (ainsi qu’à son exploitant, ses employés et ses résidents) soulève depuis longtemps plusieurs importants enjeux légaux et déontologiques.

L’entrée en vigueur, le 7 décembre 2016, de la « Loi visant à accroître les pouvoirs de la Régie de l’assurance maladie du Québec, à encadrer les pratiques commerciales en matière de médicaments ainsi qu’à protéger l’accès aux services d’interruption volontaire de grossesse » (mieux connue comme étant le « Projet de loi 92 ») et, la semaine dernière, de la « Loi modifiant diverses lois concernant principalement l’admission aux professions et la gouvernance du système professionnel » (aussi mieux connue comme étant le « Projet de loi 98 ») viennent accroître d’un cran le niveau de complexité de ces règles ainsi que les conséquences de ne pas s’y conformer.

Sans entrer dans tous les détails et toutes les nuances (puisqu’il y en a beaucoup) des diverses lois et règles encadrant tout avantage octroyé par un fabricant de médicaments, un grossiste en médicaments, un intermédiaire en pharmacie (telle une chaîne ou une bannière) ou un pharmacien à une résidence pour aînés, en voici un rapide survol sommaire.

Le Code de déontologie des pharmaciens, le Projet de loi 98 et l’article 188.2.1 du Code des professions

En premier lieu, l’article 50 du Code de déontologie des pharmaciens interdit à un pharmacien de « verser, offrir de verser ou s’engager à verser à quiconque tout avantage relatif à l’exercice de sa profession ».

Il est important de noter que cette interdiction vise tout avantage versé à qui que ce soit dans la seule mesure où cet avantage provient, de quelque manière que ce soit, d’un pharmacien ou d’une société de pharmaciens et qu’il « est relatif à l’exercice de sa profession ».

Dans la décision récemment rendue par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec à l’égard du pharmacien Luc Fortier (que vous pouvez lire en cliquant ici), un pharmacien a notamment été trouvé coupable d’infractions à cet article pour avoir versé des avantages à deux clubs de golf dont l’actionnaire majoritaire était aussi l’un des actionnaires de deux résidences pour personnes âgées.

Le Projet de loi 98, entré en vigueur le 8 juin dernier, vient doubler (la faisant passer d’un minimum de 1 000$ et d’un maximum de 12 500$ à un minimum de 2 000$ et un maximum de 25 000$) l’amende pouvant être imposée pour toute infraction au Code de déontologie des pharmaciens. Tout pharmacien contrevenant s’expose aussi à plusieurs autres sanctions pouvant aller de la simple réprimande jusqu’à sa radiation (ce qui, même si la radiation n’est que pour une courte période, l’oblige à vendre sa pharmacie puisque, en vertu de la Loi sur la pharmacie, seul un pharmacien membre en règle de l’Ordre des pharmaciens du Québec peut être propriétaire d’une pharmacie).

Puisque cette interdiction se retrouve dans le Code de déontologie des pharmaciens, plusieurs croient qu’elle ne vise que les pharmaciens et qu’elle ne touche donc pas une personne qui n’est pas elle-même pharmacien.

Une telle croyance est tout à fait erronée.

En effet, l’article 188.2.1 du Code des professions prévoit que :

« 188.2.1. Commet une infraction et est passible de l’amende prévue à l’article 188, pour chaque jour que dure la contravention, quiconque sciemment, mais autrement que par le fait de solliciter ou de recevoir les services d’un membre d’un ordre, aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène ce membre à contrevenir […] ou à une disposition du code de déontologie… »

En vertu de cet article, toute personne (qu’elle soit, ou ne soit pas, membre d’un ordre professionnel) qui aide, ordonne, encourage conseille ou sollicite un membre d’un ordre professionnel (tel un pharmacien) à contrevenir à son code de déontologie ou, encore, qui approuve une telle contravention ou y consent, se rend aussi coupable d’une infraction.

Encore une fois, le Projet de loi 98 vient doubler (la faisant passer d’un minimum de 2 500$ et d’un maximum de 62 500$ à un minimum de 5 000$ et un maximum de 125 000$) l’amende pouvant être imposée pour toute contravention visée par cet article 188.2.1 du Code des professions. Notons, en passant, que cette amende peut être imposée pour chaque jour que dure la contravention.

Le Projet de loi 92

En deuxième lieu, et en plus de ce qui précède, le Projet de loi 92 ajoute la nouvelle infraction suivante en matière d’avantages à une résidence pour aînés :

«80.3. Il est interdit à un fabricant ou un grossiste reconnu, à un intermédiaire ou à un pharmacien propriétaire d’accorder, directement ou indirectement, un quelconque avantage en lien avec la vente ou l’achat d’un médicament inscrit à la liste des médicaments couverts par le régime général à l’auteur d’une ordonnance ou à l’exploitant ou à un employé d’une résidence privée pour aînés visée par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2).

Il est interdit à l’auteur d’une ordonnance ou à l’exploitant ou à un employé d’une résidence privée pour aînés de recevoir de l’un d’eux un tel avantage. »

Il est important ici de souligner l’utilisation, dans cet article, des mots « directement ou indirectement ».

Le fait de faire transiter un tel avantage par une tierce personne n’évitera donc pas que celui-ci soit visé par cette interdiction dans la mesure où, de quelque manière que ce soit, il provient d’un fabricant reconnu, d’un grossiste reconnu, d’un intermédiaire (tel une chaîne ou une bannière de pharmacies) ou d’un pharmacien propriétaire et que son bénéficiaire ultime en soit, directement ou indirectement, un exploitant ou un employé d’une résidence privée pour aînés.

À ce propos, le Projet de loi 92 prévoit aussi les règles suivantes :

«80.4. […]

Lorsque la Régie, à la suite d’une enquête, est d’avis qu’un fabricant ou un grossiste reconnu, un intermédiaire ou un pharmacien propriétaire a consenti, au cours des 60 mois précédents, un quelconque avantage à l’encontre du premier alinéa de l’article 80.3, elle peut lui en exiger le remboursement. De plus, la Régie peut lui exiger les frais d’administration prévus à l’engagement et lui imposer une sanction administrative pécuniaire équivalant à 15 % du montant du remboursement.

[…]

Pour l’application du présent article, tout avantage consenti ou reçu est présumé, en l’absence de toute preuve contraire, l’avoir été en lien avec la vente ou l’achat d’un médicament inscrit à la liste des médicaments couverts par le régime général. »

Tout fabricant reconnu, grossiste reconnu ou intermédiaire qui contrevient à cette interdiction s’expose à une amende de 10 000$ à 1 000 000$ par infraction.

Pour un pharmacien propriétaire, cette amende est de 10 000$ à 100 000$ par infraction.

Pour tout exploitant d’une résidence pour aînés qui accepte un tel avantage, l’amende est de 5 000$ à 50 000$ par infraction; enfin, pour un employé d’une telle résidence, elle est de 1 000$ à 10 000$ par infraction.

Il est enfin important de savoir que ces infractions n’ajoutent à celles pouvant découler du Code de déontologie des pharmaciens, du Code des professions et du Projet de loi 98, et qu’elles ne les remplacent pas.

Et plus encore…

Les relations commerciales entre pharmaciens et résidences pour aînés sont aussi assujetties à d’autres règles légales et déontologiques, parmi lesquelles (puisqu’il y en a d’autres), se retrouve l’interdiction faite à tout pharmacien d’« obtenir de la clientèle par l’entremise d’un intermédiaire ou s’entendre à cette fin avec un tel intermédiaire » prévue à l’article 77. 40 du Code de déontologie des pharmaciens.

Aussi, tout contrat conclu entre un pharmacien et « une personne qui fournit des services d’hébergement à des personnes âgées, des personnes handicapées ou des personnes en perte d’autonomie » est également assujetti aux dispositions du Règlement sur certains contrats que peuvent conclure les pharmaciens dans l’exercice de leur profession.

En vertu de ce règlement, tout tel contrat (ainsi que toute contre-lettre) doit, entre autres, être entièrement mis par écrit et être transmis, sur simple demande, au secrétaire de l’Ordre des pharmaciens du Québec. Il doit également obligatoirement comporter la clause suivante :

«Les parties déclarent qu’en outre des obligations assumées par le pharmacien et décrites au présent contrat, aucun avantage, incluant tout bien ou service, n’est versé ou fourni directement ou indirectement par ce dernier.»

Aussi, « Aucune clause de l’entente ne doit limiter, directement ou indirectement, le libre exercice par une personne hébergée du choix de son pharmacien. »

Comme l’on peut le constater, toute relation contractuelle ou d’affaire entre, d’une part, un fabricant de médicaments, un grossiste en médicaments, un intermédiaire (tel une chaîne ou une bannière de pharmacies) ou un pharmacien propriétaire et, d’autre part, une résidence privée pour aînés, son exploitant ou l’un ou l’autre de ses employés est assujettie à toute une série de règles qui s’ajoutent les unes aux autres.

Il s’ajoute donc là d’un domaine complexe où il est particulièrement important de faire appel à des professionnels aguerris en la matière puisque toute contravention à l’une ou l’autre de ces règles peut s’avérer très lourde de conséquences.

Jean H. Gagnon, Ad.E.