Me Mireille Beaudet, Bâtonnière du Barreau de Laval

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Me Mireille Beaudet, Bâtonnière du Barreau de Laval

Mot de la bâtonnière

Des phares dans la Cité

C’est avec beaucoup d’émotion que j’entreprends cette année où je serai, avec l’équipe de notre Conseil, à votre service en tant que VOTRE bâtonnière.

Je remercie ici celle qui fut notre bâtonnière au cours de la dernière année, Marie-Janou Macerola, pour son excellent mandat. Mission accomplie, chère consoeur!

C’est tout à la fois un honneur ET une grande responsabilité que vous me confiez d’être votre représentante et de porter votre parole, avocats et avocates de Laval, au sein du système judiciaire, de la communauté juridique et, plus largement, au sein de la Cité, ainsi que les philosophes anciens désignaient la société politique et civile.

Au cours de la prochaine année, nous continuerons à œuvrer à des défis familiers, auxquels nous sommes déjà confrontés. Qu’il suffise d’évoquer :

– Les difficultés d’accès à la justice, qui croissent et demeurent préoccupantes, malgré les efforts consentis;

– La nécessité de contenir –et, impérativement, de réduire- les délais associés aux procédures judiciaires, dans le contexte de l’insuffisance actuelle des ressources, tant humaines que matérielles;

– La complexification du droit, combinée aux obstacles rencontrés par de nombreux justiciables incapables de bénéficier d’une représentation juridique professionnelle.

Comme Barreau, nous continuerons donc à travailler de concert avec nos partenaires de la communauté juridique afin d’identifier les ressources nécessaires (juges, procureurs, personnel judiciaire, salles de cours), et à unir nos voix pour demander ces ressources, dont l’absence nous prive d’une plus grande efficience, qui bénéficierait à TOUS.

Nous persévèrerons dans notre contribution aux efforts des cours pour favoriser la diffusion de l’information sur les recours et les mécanismes de médiation, notamment aux petites créances, et pour maintenir notre collaboration aux processus de règlement amiable, dans toute la mesure de nos moyens.

Comme avocates et avocats, membres de ce Barreau, nous serons également appelés à participer à la définition et à l’éventuelle constitution d’un regroupement de l’ensemble des avocats du Québec, destiné à porter nos aspirations, nos intérêts et nos préoccupations dans un monde changeant.

La prochaine année sera donc, à bien des égards, une année charnière; déterminante, tant pour nous et pour la communauté juridique, que pour la société dans son ensemble, la « Cité »…

Sans qu’il soit utile de s’étendre sur la description des blessures qui ont été infligées à la notion même d’État de droit depuis quelques mois dans plusieurs de nos sociétés occidentales, nous ne pouvons que constater que le progrès juridique amorcé depuis l’ère des Lumières, dont nous tenions les acquis pour certains et inattaquables, ce progrès juridique parait maintenant vulnérable…

La « Cité », dans ses plus généreuses avancées, est maintenant en proie au doute, désabusée, parfois même, déchirée…

Comme avocates et avocats, nous avons bénéficié d’une offrande précieuse de notre société : une formation extensive et rigoureuse, non seulement sur le droit positif, mais sur le droit lui-même, comme science de la régulation sociale; sur son histoire et ses fondements. En contrepartie, nous nous devons de faire honneur à cette formation qui nous a été donnée.

Au-delà de nos interventions professionnelles pour nos clients ou nos employeurs, nous sommes donc particulièrement outillés pour contribuer à jeter un éclairage posé sur les questions qui agitent nos sociétés.

Je me permettrai une anecdote pour illustrer le propos. Un soir de février dernier, notre souper fut interrompu par un appel téléphonique de notre fille aînée. Elle se trouvait, avec près d’une centaine de ses camarades de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, à la Bibliothèque de l’Université McGill, où plus de 200 étudiants en droit avaient décidé d’unir leurs efforts pendant 12 heures dans un marathon de recherche, en même temps que plusieurs autres centaines d’autres étudiants, de TOUTES les facultés de droit canadiennes. Est-ce la puissance de mobilisation des réseaux sociaux ou celle des milléniaux, qui ne doutent pas de leur capacité d’entreprendre l’impossible? Je ne rappelle pas de semblable mouvement de masse au sein des facultés de droit canadiennes au cours des années passées…

Ce marathon était destiné à identifier les moyens de contester l’entente sur les tiers pays surs, une entente sur l’immigration de réfugiés convenue, en des temps meilleurs, entre le Canada et les États-Unis. Cette entente prive les demandeurs du statut de réfugié en provenance des États-Unis (réputé tiers pays sur) de la possibilité de déposer une demande dans un poste frontalier du Canada (et, évidemment, vice-versa). Nous sommes alors à peine quelques jours après la signature du premier décret présidentiel sur l’immigration, qui bannissait notamment, sans autre forme de procès, les ressortissants de 7 pays majoritairement musulmans.

Par l’intermédiaire de notre fille, un de ses amis souhaite obtenir notre avis, à Me Centomo et moi, sur la partie de la recherche qu’il s’est vue confier. Le pauvre a hérité de rien de moins que le bref de mandamus!!! Nous avons tous deux tassé le souper et enfourchés notre ordinateur respectif, ressorti nos vieux classiques jurisprudentiels en matière de contrôle judiciaire en Cour fédérale… Bref, nous avons, pendant les heures suivantes, vécu l’effervescence des deux cent jeunes qui se trouvaient à McGill, – des plus d’un millier qui se trouvaient dans d’autres facultés du Canada,- et partagé leurs efforts, tous orientés vers un but commun, vers le « bien commun »…

Plusieurs semaines plus tard, une fois la poussière retombée, j’ai revu ce jeune collègue de notre fille. Il m’a confié avoir été interpellé par les images, largement diffusées par les médias et les médias sociaux, de nombreux avocats américains qui se sont précipités dans les aéroports le soir de la proclamation présidentielle, le 27 janvier 2017, s’installant par terre avec leurs ordinateurs et des affichettes faites à la main: « FREE LAWYERS –HERE ».

Il m’a dit avoir ressenti là le véritable appel de la profession; une puissante raison pour justifier les quatre années d’étude passées à obtenir le droit de prêter serment, un jour. J’étais d’accord avec lui. Quand le temps se couvre, la Cité a besoin de phares pour se guider.

Dans le proche avenir, notre contribution, à chacune et chacun d’entre nous, sera requise de diverses manières; dans nos milieux, sur la place publique, au sein du Barreau, dans les médias, pour PRO BONO, à une conférence de la chambre de commerce, dans l’engagement communautaire …

Dans la réforme de l’accès à la justice, dont la version « pleine et entière » est de moins en moins accessible à nos concitoyens qui se voient référés vers des voies alternatives, sans pouvoir bénéficier de nos conseils et de notre accompagnement, nous devons faire montre de leadership et de créativité. Si nous ne faisons pas partie de la CONSTRUCTION de nouvelles solutions, nous ne ferons plus partie du portrait de la Justice 2.0…

Nous avons tous et toutes été formés pour relever ces défis. Pour les prochaines années, le temps s’annonce couvert sur la Cité… Le moment est venu d’être les phares que la Cité a formés, préparés et tenus en réserve.

Il nous appartient maintenant de jouer pleinement notre rôle dans la Cité…

Me Mireille Beaudet, bâtonnière de Laval