PUBLICATION DU RAPPORT DU COMITÉ D’EXPERTS SUR L’ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D’AGRESSIONS SEXUELLES ET DE VIOLENCE CONJUGALE

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C’est avec beaucoup d’optimisme que l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale (MH2) recevait ce mardi le rapport longuement attendu du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. Le rapport qui contextualise très bien la violence conjugale comme un enjeu genrée qui affecte disproportionnellement les femmes, représente une avancée majeure et historique. Il se démarque ainsi à la fois par son caractère multidisciplinaire et multipartisan que par la reconnaissance qu’il fait de l’expertise des organismes communautaires.

 

« L’Alliance MH2 salue ce rapport audacieux qui répond enfin à nos revendications historiques pour améliorer la sécurité des femmes et des enfants victimes de violence conjugale dans le système judiciaire. Nous sentons la volonté d’aller de l’avant du gouvernement au vu de l’investissement significatif annoncé le 3 décembre dernier. Nous serons au rendez-vous pour soutenir le ministère de la justice dans la mise en œuvre des recommandations proposées. »

Gaëlle Fedida – coordonnatrice aux dossiers politiques pour l’Alliance MH2

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Des recommandations ambitieuses longtemps attendues

Plus précisément, l’Alliance tient à souligner certaines recommandations comme étant des avancées majeures dans la lutte aux violences genrées.

 

La sécurité des victimes : une priorité

Le chapitre 7 dans son ensemble met l’accent sur l’importance d’assurer la sécurité des personnes victime, ce que l’Alliance MH2 approuve totalement en réitérant que c’est ce qui doit demeurer notre principal objectif. Les statistiques demeurent stables depuis plusieurs années : ce sont environ une femme par mois qui est assassinée par son partenaire intime (PI) ou ex PI et qu’aux 10 jours une femme est victime d’une tentative de meurtre par son PI ou son ex PI au Québec. Le rapport du bureau du coroner paru la semaine passée était clair : ce sont des morts évitables; on peut clairement identifier des facteurs de risques communs, donc prévenir ces tragédies, notamment par les dispositifs recommandés dans ce présent rapport. Nous accueillons donc avec enthousiasme les mesures proposées notamment l’implication des organismes travaillant avec les hommes violents quant à la pertinence d’un travail collaboratif entre ceux-ci et les groupes d’aides aux victimes relativement aux outils sur l’évaluation du risque d’homicide ou de blessures graves commis par le conjoint violent (recommandations 73-74), des actions qui pourraient sauver des vies.

 

Une meilleure cohérence dans le système judiciaire pour la sécurité

L’Alliance MH2 souligne particulièrement la pertinence du Chapitre 11 dans son ensemble qui adresse l’importance d’une cohérence dans le système judiciaire. Nous espérons fortement que le ministère de la Justice ira de l’avant avec la recommandation 149 visant à mettre en place un Tribunal Unifié de la Famille. Cela fait plusieurs années que nous proposons un tel dispositif qui a fait ses preuves ailleurs. Nous espérons que la magistrature endossera ces propositions qui, pour certaines, remettent en question des pratiques bien ancrées.

 

Les organismes pour hommes violents : une partie prenante essentielle, mais qui doit être encadrée

L’Alliance MH2 tient aussi à souligner l’accent mis sur l’importance d’aborder l’intervention avec les agresseurs dans une perspective de responsabilisation de même que la mention du développement d’un processus d’accréditation pour les organismes venant en aide aux hommes violents (Chapitre 9).

 

 

Mais encore?

Sans nier le moment historique que nous vivons, alors que nous assistons à une volonté gouvernementale jamais vue auparavant d’adresser les problématiques de violences genrées, il est évident que parmi les 190 recommandations de ce rapport certaines seront plus pertinentes que d’autres. Nous aimerions à cet effet faire un appel à la vigilance concernant plus spécifiquement 2 de ces recommandations qui nous semblent en contradiction avec l’objet principal du rapport puisqu’elles contribueraient à déjudiciariser les situations criminelles de violence conjugale.

Ordonnances civiles

L’Alliance MH2 invite à la plus haute prudence relativement aux recommandations 88 et 89 relativement à l’implantation d’ordonnances de protections civiles en matière de violence conjugale. Ces recommandations, si elles sont implantées, devraient être abordées avec précaution afin de ne pas se présenter comme une solution pour pallier aux manquements du système de justice en matière de droit criminel. Nous invitons ainsi les autorités à concentrer plus d’efforts et d’effectifs à faire respecter les ordonnances de ne pas troubler la paix (communément appelé 810 dans le milieu) qui, lorsque non respectée, amène à une judiciarisation criminelle de l’agresseur. Nous rappelons que les ex-conjoints de Dahia Khellaf 42 ans ainsi que ses 2 fils de 2 et 4 ans ont été assassinés le 11 décembre 2019, ainsi que de Françoise Côté 74 ans, assassinée le 4 décembre 2020, avaient tous deux un 810 qui pesait contre eux. Ainsi les 4 morts auraient pu être prévenues si les 2 hommes avaient été incarcérés à la suite du non-respect des conditions de l’ordonnance pesant contre eux. Nous craignons finalement que ces mesures contribuent à créer une asymétrie entre les femmes de statut socio-économique élevés ayant plus facilement accès aux mesures judicaires civiles par la voie d’avocats plaidant au privé. Nous craignons notamment que, par l’usage de telles mesures, les femmes les plus en marge de notre société, à savoir les femmes à statut migratoire précaire, soient d’autant plus laissées pour compte.

Facilitateurs en droit familial

L’Alliance MH2 demeure dubitative face à la recommandation 131 visant à étudier la faisabilité de mettre sur pied un « programme volontaire de facilitation familiale dans des contextes de violence conjugale ». Nous rappelons que selon la définition même que donne le gouvernement québécois, la violence conjugale s’insère dans une dynamique de pouvoir asymétrique, « elle ne résulte pas d’une perte de contrôle mais, constitue au contraire un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer un pouvoir sur elle. ». La proposition d’une telle mesure nécessite quant à elle une notion de rapports égalitaires à sa base absents dans un contexte de violence conjugale.

 

« Il faut faire attention de ne pas revenir en arrière; la médiation est reconnue par tous les experts comme étant tout à fait inappropriée, et dangereuse, pour les victimes de violence conjugale. Il ne faut pas déjudiciariser les actes criminels, ce serait une régression grave. »

Gaëlle Fedida – coordonnatrice aux dossiers politiques pour l’Alliance

 

Nous considérons donc que ces deux mesures détonnent par rapport au reste des recommandations présentées dans le rapport qui se veut profondément réformateur pour le système de justice. Elles contribueraient plutôt au problème généralisé de déjudiciarisation des agresseurs en violence conjugale comme le soulignait un rapport du Centre canadien de la statistique juridique paru en 2015 « les accusés reconnus coupables de violence conjugale sont moins susceptibles de recevoir une peine d’emprisonnement qu’un autre type d’agresseur reconnu coupable de voies de faits ».

 

Un moment historique

Nous terminons la rude année 2020 sur un moment historique relativement à la lutte aux violences genrées. Une opportunité que le gouvernement ne doit pas laisser passer, spécifiquement dans un contexte pandémique. Nous tenons effectivement à rappeler que selon une étude menée par Hébergement Femmes Canada, plus d’une maison d’hébergement sur deux (52%) constate une augmentation de la gravité de la violence subie par les femmes qu’elles desservent depuis le début de la pandémie. Il sera donc primordial pour les gouvernements qui suivront ces prochaines années post-pandémie d’implanter des mesures ambitieuses afin de pallier les problèmes spécifiques que la COVID-19 aura généré sur la santé et la sécurité des femmes. Paru en novembre 2020, un rapport de l’observatoire québécois des inégalités sur l’impact de la COVID-19 sur la santé et la qualité de vie des femmes abonde dans le même sens en soulignant que : « il apparaît que la baisse de revenu et l’isolement social consécutifs à un désastre naturel contribuent à une hausse de la violence conjugale. Les femmes en situation de précarité financière, éprouvant des symptômes dépressifs et ayant un faible soutien social sont plus susceptibles d’être victimes de violence au sein du foyer».

Le gouvernement devra ainsi se doter d’un budget à la hauteur des ambitions des recommandations du comité d’expert afin de mettre celles-ci en place dès 2021. Nous encourageons fortement le gouvernement à poursuivre ses travaux et demeurons disponibles à collaborer dans la concrétisation des mesures proposées non seulement dans ce rapport, mais aussi dans les documents du bureau du Coroner, du nouveau plan d’action spécifique en violence conjugale ainsi que des réformes de l’IVAC.