Tout un manque de jugement
Invitée à prendre la parole devant des membres du personnel de l’ambassade et des femmes nouvellement élues au Sénat ou à la Chambre des représentants, Chrystia Freeland a partagé son expérience de femme en politique. Elle a raconté comment, alors qu’elle était ministre du Commerce international, elle a utilisé une stratégie pour faire plier le gouvernement wallon dans le contexte des négociations du traité de libre-échange Canada-Europe (CETA).
On se souviendra que lors de l’échec des négociations en octobre dernier, elle s’était rendue en Belgique mais avait quitté les lieux au bord des larmes, disant qu’elle était déçue, que le Canada était déçu.
Lors de son allocution à Washington cette semaine, Mme Freeland a raconté ceci: «Nous avons décidé qu’il était très important de ne pas être fâchés en sortant, parce que nous voulions que les Wallons se sentent coupables.» Puis elle a enchaîné: «Vous savez: nous sommes Canadiens, nous sommes tellement géniaux, nous sommes tellement sympas… donc j’ai visé un ton triste plutôt que fâché.»
Le tour a bien fonctionné. Elle a ajouté que beaucoup d’Européens lui ont téléphoné au cours des 24 heures qui ont suivi cette sortie théâtrale. «On me disait: »s’il vous plaît, ne rentrez pas chez vous. Nous sommes désolés. Vous avez tellement raison. Nous allons y arriver »».
Chrystia Freeland est une femme brillante. Son parcours de journaliste, avant de se lancer en politique, est impressionnant. Elle a développé des liens et des expertises dans plusieurs pays. Mais on peut dire que sur ce coup-là, elle a raté une belle occasion de se taire.
Tous les grands médias belges ont repris l’histoire avec des titres peu flatteurs: «Des larmes de crocodile pour tromper la Wallonie», «La ministre qui n’a fait que du cinéma», «Des larmes simulées pour culpabiliser les Wallons»…
L’histoire est tellement grosse que même le ministre-président de la Wallonie, Paul Magnette, qui était aux premières loges du numéro d’actrice de Mme Freeland, a refusé de croire la justification donnée cette semaine. Pour lui, il s’agirait plutôt d’une tactique pour justifier cette émotion. «Je ne peux pas croire à une histoire aussi énorme. Je n’allais pas signer le traité pour que Mme Freeland arrête de pleurer», s’est amusé Paul Magnette. «Elle a été très critiquée au Canada, elle a trouvé une tactique pour répondre à ces critiques», a-t-il ajouté.
Peu importe les motivations profondes de la ministre Freeland, ce n’était assurément pas très habile de s’épancher sur ses états d’âme et sur ses techniques de négociation. Elle aurait très bien pu en discuter avec ses collègues ou avec son mari, mais elle aurait dû se garder une petite gêne et s’abstenir de révéler une telle énormité en public.
Ce n’est certainement pas une telle image d’hypocrisie et de mascarade que le Canada souhaite projeter à l’échelle internationale.
Et dire qu’elle est maintenant chef de la diplomatie canadienne…
Source : La Presse