Un franchiseur se fait prendre dans les mailles de son propre contrat!‏

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Le jugement rendu le 29 janvier dernier par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire 9183-7708 Québec inc. c. Soltron Realty inc. c. (que vous pouvez lire en cliquant ici) illustre particulièrement bien l’importance pour tout rédacteur d’un contrat en matière de franchisage de bien réfléchir aux conséquences possibles des clauses qu’il y stipule.

Ce jugement portait sur l’appel par plusieurs franchisés du réseau Café Vienne d’un jugement rendu le 17 novembre 2014 par la Cour supérieure du Québec (que vous pouvez aussi relire en cliquant ici).

Dans cette affaire, le franchiseur, Groupe Café Vienne 1998 inc., exigeait que chacun de ses franchisés signe avec Café Vienne Canada inc., une société liée à ce franchiseur, un sous-bail pour l’emplacement de son établissement après que cette société liée en ait elle-même signé le bail principal avec le bailleur.

Or, cette société liée au franchiseur, Café Vienne Canada inc., n’avait aucun véritable actif et avait été constituée aux seules fins de signer les baux des établissements de ce réseau, vraisemblablement dans le but de mettre le franchiseur lui-même à l’abri de toute responsabilité découlant de ces baux.

Au terme d’une longue bataille judiciaire, un bailleur, Solton Realty inc. a obtenu un jugement condamnant Café Vienne Canada inc. à lui payer une somme qui, à l’époque du jugement de la Cour supérieure, s’élevait à environ 82 000$.

Café Vienne Canada inc. n’ayant évidemment pas acquitté le montant de ce jugement (puisque n’ayant aucun véritable actif), Solton Realty inc. a transmis aux franchisés du réseau Café Vienne (qui étaient aussi obligatoirement des sous-locataires de Café Vienne Canada inc.) une saisie visant les loyers stipulés à chacun de leurs sous-baux conclus avec Café Vienne Canada inc.

Ces franchisés ont alors déclaré ne rien devoir à Café Vienne Canada inc. pour le motif que, en vertu de leurs sous-baux, ils payaient leurs loyers directement au bailleur principal de chacun de leurs emplacements (et non à Café Vienne Canada inc.). Selon eux, ils ne devaient donc rien à Café Vienne Canada inc. elle-même.

Outre le fait qu’ils soutenaient ne rien devoir à Café Vienne Canada inc., les franchisés invoquaient aussi que, si Soltron Realty inc. saisissait les loyers que ceux-ci payaient en vertu de leurs sous-baux, ceci les placerait dans la situation intenable entre (a) devoir subir la résiliation des baux pour leurs emplacements pour non-paiement du loyer dû aux bailleurs principaux (malgré que les franchisés aient versé les loyers payables en vertu de leurs sous-baux), ou (b) devoir payer une deuxième fois leur loyer au bailleur principal de chaque emplacement pour éviter la résiliation de leurs baux.

Malheureusement pour eux, ainsi que pour le franchiseur du réseau Café Vienne, la Cour supérieure du Québec a validé les saisies pratiquées pas Soltron Realty inc. et ordonné aux franchisés de verser à Soltron Realty inc. tous les loyers payables en vertu de leurs sous-baux en exécution du jugement rendu contre Café Vienne Canada inc.

Ces franchisés ont donc porté le tout devant la Cour d’appel du Québec.

Dans un premier temps, pour des motifs juridiques quelque peu complexes, la Cour d’appel du Québec a accueilli l’appel des franchisés Café Vienne et déclaré que Soltron Realty inc. n’avait pas le droit de saisir leurs loyers qui, ultimement, devaient être versés, pour chacun d’eux, au bailleur principal de son établissement. Je vous invite à lire le jugement de la Cour d’appel du Québec si vous souhaitez en savoir plus sur ses motifs à ce propos.

Par contre, la Cour d’appel du Québec s’est ensuite attardée à la clause 12 du sous-bail conclu entre Café Vienne Canada inc. et chaque franchisé Café Vienne qui stipulait notamment que « toutes les sommes dues en vertu du Contrat de franchise sont réputées être du loyer en vertu du présent Sous-Bail et pourront être réclamées en vertu de ce Sous-Bail ».

Selon la Cour d’appel du Québec, à titre de créancier de Café Vienne Canada inc., Soltron Realty inc. pouvait (à défaut par Café Vienne Canada inc. de ce faire) exercer les droits de Café Vienne Canada inc. en vertu de cette clause et, par la suite, saisir entre les mains des franchisés Café Vienne les sommes que ceux-ci devaient à leur franchiseur, Groupe Café Vienne 1998 inc., jusqu’à concurrence du montant que Café Vienne Canada inc. devait à Soltron Realty inc. puisque, en vertu de cette clause 12 du sous-bail, les sommes dues au franchiseur en vertu de la convention de franchise étaient aussi payables à titre de loyer à Café Vienne Canada inc. (le sous-bailleur).

La Cour d’appel du Québec a aussi jugé que, bien que n’étant pas lui-même partie au sous-bail comportant cette clause 12, le franchiseur, Groupe Café Vienne Canada inc., était lié par cette clause puisque la signature du sous-bail était l’une de ses exigences vis-à-vis ses franchisés et que le texte de ce sous-bail apparaissait en annexe à sa propre convention de franchise.

Au bout du compte, c’est donc par une clause du sous-bail rédigé par ses propres conseillers juridiques que ce franchiseur s’est indirectement rendu redevable des sommes payables par une société liée qui, justement, avait été constituée afin de le mettre à l’abri des recours de bailleurs.

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

Jean H. Gagnon, Ad.E.
Avocat | Médiateur | Arbitre