Allocution Pauline Marois

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Allocution Pauline Marois

Chers Éric, Stéphane et membres de la famille de Marc-André
Monsieur le premier ministre, Cher Lucien,
Mesdames et messieurs,
La version lue fait foi
C’est un privilège aujourd’hui de vous parler de Marc-André, du politicien, du collègue et de l’homme que j’ai admiré.
Vous savez, j’ai croisé un grand nombre de personnalités publiques. J’en ai connu quelques-uns qui ne visaient que leur intérêt personnel. J’en ai connu d’autres qui travaillaient pour la gloire, mais la grande majorité fait partie d’une autre catégorie : les personnes dévouées qui sont là pour servir.
Parmi celles-ci, Marc-André était respecté de tous. Et j’ai eu la chance de travailler avec lui, l’homme intègre dont toutes les énergies ont été consacrées à améliorer la vie des siens.
En fait, l’essentiel de sa vie professionnelle, il l’a dédiée au service public, à la recherche du bien commun.
Aujourd’hui, nous pouvons voir l’importance de son héritage, un héritage qui demeure inscrit dans la vie quotidienne de toutes les Québécoises et de tous les Québécois.
Cet héritage, j’aimerais vous en parler en tant que femme profondément attachée à des valeurs de progrès social. Je veux vous parler aussi de l’être humain que j’ai côtoyé.
La première fois que j’ai eu l’occasion de l’observer, jeune directrice du cabinet, je l’imaginais d’un tempérament assez traditionnel, un peu sage et tranquille. J’ai vite pu constater que sous cette apparence se cachait une personnalité à découvrir. Madame Payette pour qui je travaillais ne cachait pas l’estime que le compagnon de route de monsieur Lévesque lui inspirait.
À la fin avril 1981, j’avais 33 ans et je venais tout juste d’accoucher. Élue députée, on me confie le poste de ministre de la Condition féminine. Dans la grande salle du conseil des ministres sans fenêtre, sans expérience, je me sentais bien petite. Je voyais monsieur Lévesque diriger nos longs débats et j’étais bien impressionnée de me retrouver aux côtés de Marc-André et de mes héros du premier gouvernement du Parti québécois.
Je voyais bien que la douleur terrible de l’échec référendaire avait laissé des traces, mais tous étaient prêts à se relever les manches et à travailler fort pour que le Québec reprenne son élan.
Rapidement, j’ai pu voir les qualités qui ont fait de Marc-André un homme d’État. Je commencerais par celle que je trouve la plus importante pour quelqu’un qui s’engage dans l’action politique : la loyauté sans complaisance, une loyauté teintée par l’intégrité et la sincérité.
Fidèle à ses proches, ses racines, sa région qu’il a toujours défendue avec passion, il appartenait à un clan, il ne l’a jamais caché et il ne l’a jamais oublié.
Il faut aussi se souvenir d’une autre loyauté qui a été fondamentale dans sa vie publique. Marc-André a toujours été un serviteur du Droit et de la Justice.
Ici, dans sa région, beaucoup de gens se souviennent encore du travail du jeune avocat qui ne comptait pas ses heures quand il croyait à une cause. Monsieur Lévesque avait bien compris les forces qui l’animaient quand il l’a choisi comme ministre de la Justice.
La liste des réformes attachées à son nom est remarquable :
– la création du Conseil de la magistrature;
– l’implantation d’un nouveau mode de nomination des juges; – la réforme du droit de la famille;
– la réforme de la Charte des droits et libertés de la personne; – la loi instituant la réforme du Code civil.
Il faut ajouter à ces réalisations le rôle qu’il a joué dans l’évolution du droit en matière d’avortement. Même si Marc-André était un homme de foi, cela ne l’a pas empêché de reconnaître la légitimité des jugements dans le dossier des poursuites contre le Dr Morgentaler et d’en tirer les conséquences pour la justice : interdire les nouvelles poursuites et recommander la modification du code criminel. À l’époque, reconnaître le droit des femmes à disposer librement de leur corps demandait un courage exemplaire.
Le bilan est impressionnant et il révèle beaucoup sur sa personnalité.
On parle souvent de Marc-André en évoquant des valeurs plutôt sages et conservatrices, on rappelle son comportement prudent et modéré. Aujourd’hui, je veux corriger ce portrait réducteur qui ne correspond ni à l’œuvre qu’il nous a laissée, ni à l’homme que j’ai côtoyé.
Tout d’abord, ceux qui l’ont fréquenté dans des situations de crise s’en souviendront, plus les discussions étaient tendues, plus les enjeux étaient élevés, plus il avait l’air calme, du moins de l’extérieur. En fait, quand beaucoup s’affolaient, il prenait le temps d’écouter, de réfléchir, d’évaluer la position des uns et des autres avec rigueur.
Après, sans jamais se défiler, il faisait connaître son opinion, ses décisions. Son comportement calme et modéré, son bon jugement étaient une de ses marques de commerce.
Il y a le tempérament et la méthode, il y a aussi les valeurs qui l’animaient. Beaucoup ont vu en lui un conservateur. Certains commentateurs le classaient plutôt à droite. Moi ce que j’ai vu et dont je peux témoigner, c’est de son engagement continu pour affirmer l’égalité des femmes et des hommes, c’est un élu qui a toujours défendu le service public et qui cherchait constamment des approches novatrices en matière de justice. Moi, derrière l’image conservatrice qu’on donnait de lui, j’ai vu à l’œuvre un véritable progressiste, un authentique humaniste qui avançait toujours dans la bonne direction, sans jamais reculer.
À une époque où ce n’était pas encore dans l’air du temps, il a fait modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour y inclure l’orientation sexuelle comme motif interdit de discrimination. Des années plus tard, on lui a décerné le Prix de lutte contre l’homophobie en rappelant que « Le Québec a été la première Province canadienne à protéger les droits des personnes homosexuelles et un chef de file mondial. »
Je veux vous parler aussi de son œuvre la plus importante, le parachèvement de la réforme du Code civil du Québec, ce fondement de notre système juridique. Avec humilité, Marc-André a pris la relève de ses prédécesseurs, il a poursuivi le travail pour que notre Code civil ne contienne aucune forme de discrimination à l’égard des femmes. Je ne connais pas d’autre société où ce travail a été fait avec autant de détermination et de rigueur. Au nom de toutes les femmes du Québec, il faut lui dire merci pour cela.
D’entrée de jeu, j’ai parlé de la loyauté de Marc-André. Homme de parole, il n’a jamais renié ses engagements. J’ai connu un grand Québécois, une personne qui a marqué nos vies, un être que nous avons admiré et qui pourrait témoigner de la loyauté de Marc-André s’il était avec nous aujourd’hui, vous avez deviné, je parle de René Lévesque.
Sans complaisance, dans les moments d’euphorie comme dans les moments les plus sombres, Marc-André est resté à ses côtés et lui a offert sa complicité et son amitié jusqu’à la fin.
Il était généreux avec ses amis, mais aussi avec les jeunes juristes qui partageaient son idéal. Il n’a jamais hésité à donner de son temps pour transmettre son savoir et sa passion pour la justice.
Marc-André avait confiance. Il savait que ses enfants, ses petits-enfants et ses proches partageaient ses idéaux, il serait fier d’eux, fier comme seuls les gens de sa région peuvent l’être, il était fier du peuple québécois.
Devant les défis immenses que nous devons relever pour que le Québec poursuive sa route dans la dignité et le chemin de la réussite, je suis convaincue qu’il nous rappellerait les mots de deux premiers ministres qui ont été de véritables amis.
De Lucien, je suis certaine qu’il nous dirait de ne jamais oublier son mot célèbre quand il luttait entre la vie et la mort :
« Que l’on continue. »
De monsieur Lévesque, avec qui il a entrepris la lourde tâche de convaincre le peuple québécois d’assumer pleinement son destin, il nous dirait de ne jamais oublier son message du 15 novembre 1976 :
« On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple! »

PAULINE MAROIS