Banquet des juristes d’origine italienne du Québec

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Banquet des juristes d’origine italienne du Québec

Sur la photo, Gina Gianfranco, Gabriel Marrocco, Gabriel D’Addona, Salvatore Tedone et Alessia Greco.

Cinq jeunes étudiants en droit dont deux à la maîtrise ont reçu une bourse d’étude lors du banquet 2018 de l’Association des juristes Italo-Canadiens du Québec fin mai dernier.

Ils sont encadrés par l’avocat retraité Elio Cerundolo, qui a été honoré cette année, et un député fédéral.

Me Elio Cerundolo honoré par ses pairs

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Me Philippe Messina, président de l’Association des Juristes Italo-Canadiens du Québec, remet une plaque commémorative à Me Elio Cerundolo, avocat retraité qui a été honoré au banquet 2018 de cette association qui a été fondée en 2004.

Credit photo : Michael A. Benigno, fotoPRO interNational

Texte de l’allocution de Me Gian Michele Cerundolo :

Cher papa,

C’est avec un immense bonheur que j’ai la chance aujourd’hui de reconnaître ton impressionnante carrière auprès de tes pairs et surtout de t’exprimer toute ma gratitude envers toi comme père, mais aussi comme mentor.

Grâce à toi, le nom Cerundolo est devenu une référence dans le monde juridique et je réalise tous les jours à quel point tu as travaillé fort depuis ton arrivée à Montréal en 1962 à bâtir cet empire autour de toi, tout en restant humble et accessible.

Après des études à l’Université de Montréal, tu as ouvert un des premiers bureaux d’avocats italiens à Montréal, dont tu avais soigneusement choisi l’emplacement…Tous les gens reconnaissent encore ce coin de rue si symbolique et j’ai la chance d’y travailler et de poursuivre le travail que tu as entamé, il y a de cela plus de quarante ans…

Papa, peu importe où je vais, tu es un homme que tout le monde respecte. Tu as toujours été reconnu pour ton tempérament combatif, ta droiture, ta générosité, ton engagement envers la communauté italienne et surtout, tes connaissances exceptionnelles en droit…Encore aujourd’hui, même à la retraite, c’est plus fort que toi de vouloir défendre le bien des gens autour de toi.

Depuis que je suis tout petit, j’ai voulu suivre tes pas… Tu es un modèle pour moi tant au niveau personnel que professionnel. Tu as donné un sens aux mots travail et persévérance. Personne n’est parfait, mais malgré tous tes engagements, tes voyages et tes nombreux projets, tu as toujours mis la famille au centre de ton univers.

Je suis fier d’être « Il figlio del Avvocato Cerundolo ».

Je t’aime et encore une fois, félicitations pour cette soirée en ton honneur, cela démontre la grandeur d’homme que tu es!

Me Gian Michele Cerundolo

Voici le texte de l’allocution de Me Elio Cerundolo :

Bonjour à tous et à toutes d’être ici ce soir avec moi.

Puisque je suis né en Italie et j’ai émigré au Canada à l’âge de dix-neuf (19) ans, je vais vous résumer l’éducation et la formation que j’avais reçues avant mon arrivée à Montréal.

Tout comme dans le reste de l’Europe et ailleurs dans le monde, la société italienne dans les années 30-40 et suivantes était axée sur la famille patriarcale « Pater Familias » où le père prenait seul toutes les décisions concernant l’éducation des enfants coutume bien ancrée dans la société italienne où l’homme avait tous les pouvoirs sans discussion aucune de la part des autres membres de la famille.

C’était le temps où être un homme était un privilège particulièrement pendant le « ventennio fascista » qui était un régime basé sur le concept de la supériorité du mâle dans la société.

Je vous soumets qu’il ne serait pas juste de juger ce passé avec la mentalité et les valeurs d’aujourd’hui.

En effet, quand mon père a décidé de déménager à Rome et par la suite d’émigrer au Canada, il n’y a pas eu de conseil de famille, c’est lui qui avait pris la décision et nous tous n’avions pas à discuter cette décision.  C’était lui le père et/ou le mâle dans la famille et nous l’avons suivi.

De plus, étant moi-même un mâle et par surcroît étudiant et futur professionnel, j’avais été éduqué dans la vie familiale à ne faire aucun travail pour aider le train-train de tous les jours puisque cela était réservé aux femmes (mère et sœurs) et surtout, il n’était pas question d’aller travailler pour n’importe quelle raison puisque j’étais étudiant et ce n’est qu’après avoir eu la licence dans une profession que j’aurais dû commencer à travailler.  Cette éducation et formation d’homme, étudiant, futur professionnel, et futur colonne portante de la société  faisait de moi et des autres comme moi un individu qui avait une place très privilégiée dans la société italienne.

Pour vous prouver clairement cette position de privilège de l’homme dans la société italienne, je vous citerai un exemple juridique qui est celui de l’adultère prévu au Code pénal italien :   2 situations sont prévues

a) L’art. 559 c.p. Adulterio donna:

La moglie adultera è punita (condamnée) con la reclusione fino a un anno, (1 seul rapport sexuel équivalait à adultère)

b) L’art. 560 Adulterio uomo

Dans cet article l’adultère du mari était dénommé concubinage puisque ce que dernier commettait l’adultère seulement dans le cas où il y avait une véritable relation stable qui donnait suite au concubinage du mari.  Clairement, il y avait une disparité d’évaluation de l’adultère commis par la femme et par l’homme dont la position était de suprématie par rapport à la femme.

À partir de la preuve d’adultère commis par la femme nous retrouvons dans le Code pénal italien art. 569 le principe du « Delitto d’onore » où le mari qui avait tué sa femme alors qu’elle commettait l’adultère, bénéficiait de la défense de « Delitto d’onore » en obtenant ainsi une peine très réduite pour le même crime commis pour d’autres motifs (de 3 à 7 ans), en fait, ce délit était commis afin de sauver l’honneur du meurtrier puisque la conduite de la femme équivalait à une provocation très grave et la réparation de l’honneur ne causait pas une réprobation (condamnation) sociale au contraire!

Cette situation a été très bien illustrée dans le film très fameux « Divorzio all’Italiana » tourné en 1962 avec Marcello Mastroianni, le baron sicilien qui tombe en amour avec sa cousine  et pousse sa femme à commettre l’adultère pour enfin la tuer en flagrant délit et plaider la défense « Delitto d’onore » ce qui en faisait un homme (D’HONNEUR) après ce fait.

Évidemment en 1981, le code pénal italien a été amendé et aussi dans tout le reste du monde avec les événements de 1968, cette disparité a été abolie.

C’est dans cette société que j’ai été éduqué, formé et où le fait d’être homme, étudiant et futur professionnel cela me plaçait dans une position très privilégiée et ceci, jusqu’à l’âge de dix-neuf (19) ans où j’ai émigré au Canada où comme vous le savez la situation de l’homme n’était pas du tout la même et avec laquelle j’allais m’intégrer.

2)       En fait, le 22 novembre 1962, je suis arrivé au Canada par le bateau Saturnia (son dernier voyage, et en pleine crise Cuba et États-Unis) plein d’enthousiasme et d’espoir pour ma vie dans ce nouveau pays où les expectatives étaient l’équivalant de l’Eldorado et où je croyais que les plus grands achèvements pouvaient être facilement accomplis par un jeune comme moi.  Cependant, la réalité que j’ai dû affronter à chaque jour après mon arrivée à Montréal était très différente de mes expectatives de rêve.

Parmi les nombreuses difficultés que j’ai dû surmonter à partir de la non connaissance de la langue française et anglaise, ni parlée ni écrite, pour un futur avocat.

Je vous donne quelques exemples les plus marquants :

a) Dès mon arrivée, alors que mes copains de lycée à Rome après leur entrée à l’université où l’inscription était libre et les cours non obligatoires et les examens facultatifs au bon gré de l’étudiant, ils me décrivaient la beauté des fêtes dansantes, fêtes goliardiques à chaque jour de cours, fêtes d’initiation auxquelles ils devaient se soumettre à leur grand plaisir, tandis que moi alors que j’ai voulu m’inscrire à l’université de Montréal en novembre, à ma grande surprise, je me suis fait répondre que si je voulais m’inscrire à l’université en droit je devais faire mon inscription au mois d’avril pour le 1er trimestre en droit qui débutait en septembre où la fréquentation était obligatoire avec la prise des présences à chaque jour.

Quelle différence entre la marche à suivre dans les deux universités, l’une très libérale et l’autre très strictement réglementée.

Suite à ce refus de m’admettre aux cours de droit, et après avoir informé mon père de cela, ce dernier m’a dit « Trouve-toi un emploi en attendant ton entrée à l’université en septembre.  Ici la coutume est que même les étudiants travaillent! »  Sur cette réponse de mon père, je vous laisse imaginer la « tragédie grecque » qui s’abattait sur ma tête, situation inimaginable pour moi.  Maturité classique je devais aller faire un travail manuel!  Et surtout cela arrivait en plein hiver sibérien qui m’était inconnu  et qui était loin des belles plages ensoleillées californiennes et des voitures américaines convertibles qu’on voyait dans les films américains que je m’attendais de voir au Canada.

À la suite de cet impact avec cette nouvelle façon de vivre au Québec, je me suis de bon gré adapté très rapidement à cette nouvelle façon d’affronter la vie et cela en travaillant à tous les jours jusqu’à mon entrée à l’université où j’ai continué à travailler  à temps partiel en tant que vendeur de souliers italiens dans le magasin de mon père Cemi sur la Plazza St-Hubert ce qui m’a permis de payer mes frais universitaires et les frais de ma vie quotidienne, chose absolument impensable pour moi à mon arrivée à Montréal.

Je peux vous assurer que cette expérience a été très enrichissante en tant que futur avocat, puisque chaque vente était une cause que je devais gagner et surtout en convainquant mes compatriotes à payer la taxe de vente de la ville de Montréal! Laisser-moi vous le dire c’était tout un défi. Évidemment, tout cela a fait de moi un bien meilleur homme que j’étais avant mon arrivée au Canada.

En janvier 1969, j’ai commencé ma pratique du droit en ouvrant mon bureau au coin de Jean-Talon et Papineau où le bureau se trouve encore aujourd’hui Cerundolo & Maiorino où mon fils Gian Michele est associé avec Me Denis Maiorino, mon associé de très longue date, dans ce bureau j’ai eu l’honneur de travailler avec plusieurs avocats et avocates qui sont nombreux et nombreuses ici ce soir et que je remercie pour leur collaboration très appréciée.

Cette pratique du droit n’a pas été facile au début puisque cela était un reflet de la difficulté par les immigrants italiens à se faire accepter dans la société québécoise.

En fait, dans ce temps de « pionniers », la communauté juridique italienne était très restreinte.  Il y avait un seul juge à la Cour supérieure, l’honorable juge Shorteno et les avocats étaient Me Lattoni, Tucci, Pateras, Di Francesco, Galileo Taddeo et c’est tout.

Aujourd’hui cette situation est changée particulièrement due au fait que l’intégration des immigrants italiens dans la société québécoise est complète dans tous les niveaux, en effet, aujourd’hui nous avons :

  • Plusieurs juges en charges;
  • Plusieurs centaines d’avocats et avocates;
  • Plusieurs notaires;
  • Des milliers de professionnels dans toutes les professions;
  • Hommes et femmes d’affaires;
  • Constructeurs;
  • Industriels;
  • Banquiers;

Il est évident que cette intégration a rendu la pratique du droit plus facile et importante de sorte qu’aujourd’hui la communauté juridique italienne est l’une des plus importantes communautés juridiques au Québec.

Enfin, je vous avoue que grâce à mon intégration dans la société québécoise dont la meilleure preuve est le fait que j’ai épousé une immigrée Jacinthe née à Jonquière au Lac Saint-Jean et immigrée à Montréal et qui m’a aidé à surmonter toutes les difficultés que j’ai vécues en tant qu’immigrant, tout cela m’a rendu plus fort dans ma vie et dans mon travail en ayant évolué dans ce pays, dans cette province  et dans cette sympathique ville de Montréal et quand je retourne constamment en Italie, je constate que je suis heureux et chanceux de vivre dans ce merveilleux pays.

En conclusion, je remercie le comité organisateur L’association Des Juristes Italo-Canadien pour la belle réussite de cette soirée et surtout pour tout le bien qu’il fait aux étudiants et étudiantes en droit.

Je remercie aussi toute ma famille, ma mère, mon père, mes frères et sœurs défunts qui auraient été très fiers de moi ce soir ainsi que mes deux (2) sœurs et frères présents ici ce soir et particulièrement ma femme Jacinthe et mes trois (3) enfants qui m’ont supporté tout au long de ma carrière.

Merci!