Il n’est pas toujours avantageux d’être une société quand viennent les accusations
Par Theodore Goloff, de notre groupe de Droit du travail et de l’emploi
L’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés protège un accusé contre l’imposition de « traitements ou peines cruels et inusités ». La Cour suprême vient de décider, dans Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, que malgré le langage qui précise que cette protection s’applique à « chacun » — un terme que les tribunaux ont interprété comme comprenant les individus et les sociétés — la nature de cette protection et sa genèse, de même que tout particulièrement l’idée que châtiment puisse être cruel, faisaient en sorte qu’elle ne puisse s’appliquer aux sociétés.
Tout comme les juges qui se sont prononcés lors des étapes précédentes de cet appel, la Cour suprême a interprété les termes « cruels et inusités » comme étant reliés à la dignité humaine, à une souffrance ou une punition tellement exagérée par rapport à l’infraction qu’elle en devient « odieuse ou intolérable » [par 17]. La Cour a établi une distinction avec les décisions telles que celle de 1985 qui avait invalidé la Loi sur le dimanche au motif qu’elle constituait une entorse à la liberté de religion, bien que l’accusée, Big M Drug Mart dans ce cas, était une société et dès lors ne pouvait invoquer sa liberté de religion : la décision fut fondée sur le caractère illégitime de l’objet de la loi.
Dans le dossier sous étude, la Cour suprême a tranché que ni les amendes minimales obligatoires, ni le fait que ces amendes soient plusieurs fois plus élevées lorsque la contrevenante était une société plutôt qu’un particulier ne pouvaient en soi être cruels ou inusités. La société ne pouvait non plus bénéficier indirectement de la protection en plaidant que ses gestes étaient forcément dictés par des individus. Comme le dit la Cour, la constitution d’une société comporte des avantages, mais aussi des inconvénients. En constituant une société, on ne peut ménager la chèvre et le chou.
La Cour a également rejeté la possibilité pour la société de soutenir que les pénalités excessives pouvaient la mener à la faillite, ce qui équivaudrait à lui faire perdre la vie, un droit protégé par la Charte.
Plusieurs lois, tant provinciales que fédérales dictent qu’on impose des amendes minimales en cas de déclaration de culpabilité. D’autres font en sorte que les sociétés soient passibles d’amendes plusieurs fois plus élevées que celles qu’encourent des particuliers pour les mêmes infractions. Ces amendes minimales ou multipliées peuvent avoir un impact dévastateur sur les finances d’une société.
Ceci est particulièrement vrai pour les infractions dites de responsabilité stricte, comme celles qu’imposent plusieurs lois relatives à la santé et la sécurité, ou celles qui imposent la possession de permis. Dans le cas sous étude, la société était accusée d’avoir agi comme entrepreneur en construction sans détenir la licence requise ou d’avoir fait effectuer du travail de construction par des personnes ne détenant pas ces permis. L’amende qu’encourait l’accusée était d’au moins 30 000 $, et pouvait atteindre quelque 154 000 $ : des pénalités deux à trois fois supérieures à celles qu’aurait encourues un particulier.
On doit retenir de cette affaire que les lois réglementant certaines activités ne sont pas que de simples inconvénients de la conduite des affaires. En cette période de pandémie, notamment, de nombreuses normes très sévères ont été adoptées et une société qui les ignorerait pourrait faire face à des pénalités très élevées. Comme toujours, prévenir vaut mieux que guérir. La consultation d’un conseiller juridique devient impérative : un dirigeant d’entreprise averti en vaut deux.