Le DPCP et SNC-Lavalin signent le premier accord de poursuite suspendue au pays
À l’aube du quatrième anniversaire de l’entrée en vigueur de ce régime, des procureurs du DPCP ont conclu le tout premier accord de poursuite suspendue (« APS ») avec une société canadienne.
La semaine dernière, les procureurs québécois et SNC-Lavalin ont fait approuver par la cour le premier APS au pays, une entente triennale qui prévoit, entre autres, que SNC-Lavalin devra payer 29 558 777 $. Cette somme se décline comme suit :
- 135 135 $ versés à titre de pénalité
- 490 721 $ confisqués à titre de produits de la criminalité
- 3 492 380 $ versés à titre de réparation à la victime
- 5 440 541 $ versés à titre de suramende compensatoire
Un surveillant indépendant s’assurera que la société respecte ses engagements. Si, après trois ans, les conditions de l’accord sont remplies, les accusations seront retirées.
L’APS concerne de multiples accusations de fraude et de complot déposées au terme d’une enquête de la GRC sur la corruption dans un contrat de 128 millions de dollars visant la réfection du pont Jacques-Cartier, à Montréal. Des accusations ont aussi été portées contre deux anciens hauts dirigeants de SNC-Lavalin.
Accords de poursuite suspendue
Les APS (appelés « accords de réparation » dans le Code criminel du Canada) sont utilisés comme solution de rechange aux poursuites judiciaires pour certaines infractions reprochées à des organisations. Si le poursuivant conclut un APS, l’organisation inculpée peut obtenir un arrêt des procédures en respectant les conditions qui y sont énoncées.
Les APS, qui gagnent en popularité ailleurs dans le monde, ont été codifiés en 2018 par l’adoption du projet de loi C-74, lequel a établi un régime pour leur utilisation au Canada.
Les APS sont avantageux pour les sociétés, puisqu’ils offrent de la certitude et une forme de protection aux parties prenantes comme les employés et les actionnaires. Ils permettent aussi aux sociétés d’éviter une déclaration de culpabilité. Ils sont aussi avantageux pour le système de justice, puisqu’ils permettent d’éviter de longs et coûteux procès.
Pour conclure un APS, le poursuivant doit, entre autres, être d’avis qu’il est dans l’intérêt public de le faire. Dans son analyse, il doit tenir compte de facteurs comme la nature et la gravité de l’infraction et le fait que l’organisation a pris ou non des mesures pour réparer le tort causé.
L’APS de SNC-Lavalin
SNC-Lavalin a fait la manchette lorsque le Service des poursuites pénales du Canada (« SPPC ») a refusé de lui offrir un APS relativement à des accusations concernant des projets en Libye. La directrice des poursuites pénales Kathleen Roussel avait alors souligné qu’il ne convenait pas de conclure un tel accord vu la « nature et la gravité » de l’infraction, qui concernait des pratiques de corruption à l’étranger.
Les procureurs du Québec ont quant à eux estimé, contrairement à l’instance précédente, qu’il était dans l’intérêt public de négocier un APS, et ce, à la lumière de plusieurs facteurs, comme la mise en place par SNC- Lavalin d’un code d’éthique strict et sa collaboration à l’enquête sur les deux anciens hauts dirigeants.
Selon eux, une condamnation nuirait considérablement à la capacité de SNC-Lavalin de faire affaire avec des sociétés publiques canadiennes et québécoises, ce qui entraînerait de lourdes conséquences pour de nombreux tiers n’ayant rien à voir avec cette affaire, de même que pour l’ensemble du secteur de l’ingénierie au Québec et au Canada.
Par ailleurs, SNC-Lavalin ne pourrait plus conclure de contrat avec les gouvernements provincial et fédéral ni avec leurs entités parapubliques respectives.
Au Québec, une déclaration de culpabilité pour n’importe laquelle des infractions reprochées rendrait la société « inadmissible » aux marchés publics pendant les cinq années suivant l’inscription de cette déclaration au registre des entreprises non admissibles aux contrats publics. Cette inadmissibilité s’appliquerait à tout contrat qu’elle voudrait conclure avec le gouvernement du Québec, ses sous-entités et ses organismes.
Au fédéral, aux termes de la Politique d’inadmissibilité et de suspension, une condamnation pour fraude commise à l’égard de la Couronne fédérale entraînerait automatiquement une détermination d’inadmissibilité indéfinie ou jusqu’à un ordre de rétablissement du conseil des ministres. Pour les autres infractions la période d’inadmissibilité de dix ans pourrait être réduite à cinq ans.
Aux yeux des procureurs québécois, cette inadmissibilité aurait des répercussions économiques disproportionnées sur SNC-Lavalin et, plus important encore, sur des tiers qui ne sont aucunement responsables des infractions.
SNC-Lavalin compte 37 584 employés au Québec, au Canada et dans le monde. Les procureurs ont indiqué à la cour que leur avis sur l’intérêt public tenait aux milliers d’emplois qui seraient touchés, à l’actionnariat public et privé de SNC-Lavalin, aux régimes de retraite de ses employés, au maintien de son siège social au Québec et à la conservation de l’expertise en ingénierie.
Ils ont également souligné le fait que SNC-Lavalin avait reconnu ses torts. Par ailleurs, plus aucun des hauts dirigeants de l’époque n’est en poste et, depuis 2012, SNC-Lavalin suit un programme de conformité qui fait l’objet d’un contrôle récurrent par divers organismes d’application de la loi.
Les procureurs ont fait valoir à la cour que, pour toutes ces raisons, un APS tendrait en l’espèce à maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.
Il convient également de noter qu’une filiale de SNC-Lavalin a plaidé coupable à un chef d’accusation de fraude en 2018 après le refus du SPPC de conclure un APS pour des faits similaires, mais distincts. La poursuite tient compte des condamnations antérieures lorsque vient le temps de négocier un accord de plaidoyer. L’affaire SNC-Lavalin nous montre toutefois qu’une condamnation dans une affaire connexe n’empêche pas nécessairement la conclusion ultérieure d’un APS.
La décision de la cour n’a pas encore été publiée, mais elle devrait l’être avant le procès des deux anciens dirigeants. McMillan mettra un autre bulletin sur la décision en ligne une fois qu’elle sera publiée.
par Guy Pinsonnault, Ralph Cuervo-Lorens, Jamieson D. Virgin et Chris Kalantzis