Les fusions et acquisitions accalmie en 2013 selon Blakes
Mark Adkins, Michael Gans et Jamie Kariya
Le secteur des fusions et acquisitions a connu une activité modérée au Canada en 2013. La faiblesse du secteur des ressources naturelles, grâce auquel le Canada avait pu enregistrer de meilleurs résultats que d’autres économies au cours de la récession, a contribué à la chute globale des activités de fusion et acquisition; l’ensemble des opérations canadiennes, quant au nombre et à la valeur, de même que la part du Canada dans les fusions et acquisitions à l’échelle internationale, ont reculé. La valeur totale des opérations canadiennes annoncées s’est élevée à 168,5 G$ CA, soit la valeur la plus faible ayant été enregistrée depuis 2009. (À moins d’indication contraire, les données présentées sont tirées des statistiques du marché établies par Bloomberg.)
En dépit d’une hausse importante des méga-opérations au cours du troisième trimestre, seules 28 opérations canadiennes annoncées en 2013, représentant une valeur totale de 70,8 G$ US, ont franchi la barre du 1 G$ US. Comparativement à l’année précédente, il s’agit là respectivement d’une baisse de 42 % et de 43 % au chapitre du nombre et de la valeur des opérations supérieures à 1 G$ US.
Cependant, stimulées par une économie nationale solide, les sociétés canadiennes ont vu leurs opérations de fusion et acquisition à l’étranger gagner en force par rapport aux opérations visant des sociétés canadiennes effectuées par des sociétés étrangères, et les États-Unis ont encore une fois été de loin le pays cible de prédilection. En effet, plus de 60 % des fusions et acquisitions réalisées par des sociétés canadiennes à l’étranger en 2013 visaient des cibles américaines, y compris l’acquisition projetée, pour 4,3 G$ US, de UNS Energy par Fortis et l’acquisition, pour 2,9 G$ US, de Saks par la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Nous nous attendons, en 2014, à voir les tendances et faits nouveaux influer sur les fusions et acquisitions des sociétés canadiennes.
IL POURRAIT Y AVOIR PLUS DE FUSIONS ET ACQUISITIONS DE SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES AU CANADA
Certains facteurs ayant concouru à la perte de vitesse du marché mondial des fusions et acquisitions, tels les faibles prix des produits de base, le ralentissement de la croissance de l’économie chinoise et les enjeux économiques et politiques européens, demeureront sans doute présents en 2014. En revanche, quelques signes positifs, comme un renforcement de la reprise économique américaine, un redressement du secteur américain de l’habitation et un dollar canadien plus faible, dont la valeur, en janvier 2014, est tombée à environ 0,93 $ CA par rapport au dollar américain (déclin de 7,5 % par rapport à l’an passé), laissent entrevoir une progression des opérations réalisées au Canada par des sociétés étrangères.
Au fur et à mesure que la confiance en l’économie augmente, les sociétés ayant peu tendance à prendre des risques qui ont mis des fonds de côté pendant le repli pourraient sentir de nouveau le besoin de faire croître leurs revenus au moyen d’acquisitions. Les regroupements qui se poursuivent dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne signifient aussi que les investisseurs étrangers qui se tournent vers le Canada doivent agir rapidement et de manière décisive pour saisir les dernières occasions de taille. Soutenus par des marchés des capitaux liquides et des prêteurs disposés à consentir des prêts tant au Canada qu’aux États-Unis, les acheteurs financiers, encore une fois, montrent un regain d’activité au pays et opposent une concurrence appréciable aux acheteurs stratégiques.
COMMERCE DE DÉTAIL, IMMOBILIER ET RESSOURCES
Le secteur du commerce de détail a brillé en 2013, avec un certain nombre d’opérations de grande envergure annoncées. En plus de l’acquisition de Saks par la Compagnie de la Baie d’Hudson, nous avons assisté l’an dernier à l’acquisition projetée de Shoppers Drug Mart, pour 12,4 G$ CA, par Loblaws, à l’acquisition de Canada Safeway, pour 5,8 G$ CA, par la société mère Empire de Sobeys, et à l’acquisition d’une participation majoritaire dans Neiman Marcus par un consortium dirigé par l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (OIRPC). Si 2013 a été une année record pour le commerce de détail, ce secteur devrait continuer de connaître une activité intense au fur et à mesure que la confiance à l’égard des dépenses des consommateurs s’améliore et que les détaillants s’adaptent à la concentration sur le marché.
Les fiducies de placement immobilier (FPI) se sont également montrées actives en 2013, comme en témoignent notamment l’acquisition de Primaris REIT, pour 4,6 G$ CA, par FPI H&R ainsi que l’offre d’achat au comptant et en actions visant Commonwealth Property Office Fund, d’un capital de 3 G$ AU, par Dexus Property Group et l’OIRPC. Malgré le désir de rendement des investisseurs et la perception selon laquelle le marché de l’immobilier canadien est sûr, les activités de fusion et acquisition dans le secteur des FPI pourraient néanmoins ralentir en 2014 en raison d’une moins grande activité des financements de FPI récemment.
Bien que le secteur des ressources ait perdu de la vigueur en 2013, les opérations dans cette sphère ont continué de dominer le paysage des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes au Canada. Notre sixième Étude sur les fusions et acquisitions de sociétés ouvertes au Canada a révélé que 68 % des opérations amicales annoncées au cours d’une période de 12 mois qui ont fait l’objet de l’étude touchaient le secteur du pétrole et du gaz et celui des mines. Les opérations marquantes de 2013 comprennent : l’acquisition projetée de certaines participations dans le gaz naturel dans la formation de Montney, en Colombie-Britannique, de la Société d’énergie Talisman Inc., pour 1,5 G$ CA, par Progress Energy (filiale de Petronas); l’acquisition de Uranium One par la société d’énergie nucléaire russe Rosatom; et l’acquisition projetée de Petrominerales, pour 1,6 G$ CA, par Pacific Rubiales. Dans le secteur minier, nous nous attendons en 2014 à voir davantage d’acquisitions de sociétés en difficulté et de stratégies de fusion compte tenu des embûches et des contraintes en matière de capitaux auxquelles font face bon nombre de petits émetteurs de ce secteur.
LES AUDIENCES PORTANT SUR LES PILULES EMPOISONNÉES POURRAIENT CÉDER LA PLACE AUX COURSES AUX PROCURATIONS
Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) examinent les commentaires émis à l’égard du projet de Règlement 62-105 sur les régimes de droits des porteurs (le « Règlement 62-105 ») et de la proposition concurrente émanant de l’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec. Ces projets présentent des approches divergentes quant au traitement des régimes de droits des actionnaires (pilules empoisonnées) dans le cadre d’offres publiques d’achat non sollicitées.
Le projet de règlement des ACVM traite exclusivement des régimes de droits des actionnaires plutôt que des mesures de défense en général. Il éliminerait la pratique actuelle selon laquelle les organismes de réglementation des valeurs mobilières décident au cas par cas de prononcer ou non une interdiction d’opérations à l’égard d’un régime de droits dans le cadre d’une opération donnée; pour demeurer valide, un régime de droits nécessiterait plutôt l’approbation des actionnaires dans un délai de 90 jours suivant son adoption ou, s’il est adopté après le lancement d’une offre, dans un délai de 90 jours après la date d’adoption ou celle du lancement, si elle est antérieure. À défaut d’une telle approbation ou si l’émetteur omettait de convoquer une assemblée dans les délais prescrits, le régime de droits serait annulé.
La proposition de l’AMF va davantage en profondeur que celle des ACVM, traitant non seulement de l’encadrement des régimes de droits des actionnaires, mais aussi du recours aux mesures de défense dans son ensemble. L’AMF remplacerait l’actuel avis relatif aux mesures de défense contre une offre publique d’achat par des règles sur les conflits d’intérêts auxquelles font face les administrateurs des sociétés visées dans le cadre d’une offre non sollicitée. Sauf circonstances exceptionnelles, l’AMF estime que les autorités devraient limiter leur intervention dans les offres non sollicitées.
Les deux propositions permettraient au conseil d’une société visée de mieux se défendre contre une offre non sollicitée et devraient réduire la fréquence à laquelle les autorités en valeurs mobilières seront appelées à intervenir. Par contre, l’adoption de l’une ou de l’autre d’entre elles donnera probablement lieu à une augmentation des courses aux procurations utilisées soit lors d’une assemblée de la société visée pour approuver un régime de droits des actionnaires, soit dans le cadre d’une tentative de remplacement du conseil d’administration de la société visée et d’annulation d’une mesure de défense.
RÈGLE ANTI-CHALANDAGE FISCAL : INCIDENCE POTENTIELLE SUR LES STRUCTURES DES ACQUISITIONS
En août 2013, le gouvernement fédéral a publié un document de consultation mettant en lumière les solutions possibles pour prévenir les abus fiscaux observés au moyen du chalandage fiscal. Selon ce document, le « chalandage fiscal » correspond en général à une situation où une personne, comme une société étrangère ou un fonds d’investissement privé, qui n’aurait pas autrement droit aux avantages d’une convention fiscale à laquelle le Canada est partie, constitue dans un autre territoire une entité intermédiaire qui, elle, y a droit. Dans le contexte des fusions et acquisitions, un acheteur étranger peut choisir de constituer une société de portefeuille d’un pays tiers par l’entremise de laquelle il acquerra la société cible canadienne. Ainsi, la société de portefeuille peut bénéficier de taux de retenue d’impôt réduits sur les intérêts, les dividendes ou les redevances de la cible ou tirer parti d’exonérations à l’égard des gains en capital.
Après s’être attaqué sans succès à ces structures devant les tribunaux, y compris aux termes de la règle générale anti-évitement, le gouvernement envisage à présent d’intervenir directement au moyen de mesures législatives. Si de tels changements sont mis en œuvre, les étrangers faisant l’acquisition de sociétés canadiennes pourraient devoir modifier leurs structures d’acquisition habituelles et évaluer la mesure dans laquelle ces changements influeront sur leurs flux de trésorerie futurs et sur les stratégies de sortie dans le cadre d’un investissement projeté, et donc sur la valeur de la cible. L’incidence de toute nouvelle règle sur les structures existantes n’est pas encore connue et devra être surveillée au moment de structurer de futures opérations.
RÉVISION DU SYSTÈME D’ALERTE : INCIDENCE SUR LES OBLIGATIONS D’INFORMATION DE L’INITIATEUR ET LA TAILLE DES PARTICIPATIONS
Les ACVM ont proposé des changements au régime d’information selon le système d’alerte existant en vue d’améliorer la transparence au chapitre des participations des investisseurs et des droits de vote dans les sociétés ouvertes. À l’instar du modèle des États-Unis et d’autres pays, les modifications, dont la date d’entrée en vigueur n’a pas encore été fixée, auraient notamment pour effet de faire passer de 10 % à 5 % le seuil de déclaration selon le système d’alerte.
Les changements exigeraient des investisseurs une amélioration de l’information lorsqu’ils dépassent le seuil de contrôle ou de propriété de 5 %. Bien que la majorité des émetteurs publics ayant commenté le projet se soient exprimés en faveur de celle-ci, un grand nombre d’investisseurs ont déclaré que le resserrement des obligations d’information risquerait de ralentir l’investissement au Canada.
Dans notre plus récente Étude sur les fusions et acquisitions de sociétés ouvertes au Canada, nous avons constaté que, dans 18 % des opérations examinées, l’acheteur était propriétaire de titres de la cible avant la signature de la convention relative à l’opération, alors que ce ratio s’élevait à 12 % dans l’étude antérieure. De ces acheteurs, 22 % détenaient moins de 10 % de la cible.
ÉVOLUTION DU PAYSAGE RÉGLEMENTAIRE
L’arrivée d’un nouveau commissaire au Bureau de la concurrence a marqué l’introduction d’un processus d’examen plus rapide et ciblé des opérations de fusion et acquisition non complexes, particulièrement les acquisitions dans le secteur pétrolier et gazier en amont. De façon similaire, une coordination accrue entre le Bureau de la concurrence et ses homologues américains et européens s’est traduite par une approche davantage rationalisée et coordonnée à l’égard des opérations multiterritoriales. Simultanément, toutefois, les opérations entre concurrents ont reçu une plus grande attention étant donné que les ressources gouvernementales se concentrent de plus en plus sur les fusions et acquisitions stratégiques.
Le gouvernement continue également de tirer parti des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur Investissement Canada pour passer en revue les acquisitions directes d’entreprises canadiennes par des non-Canadiens et déterminer si celles-ci sont à l’« avantage net » du Canada. La plupart des parties parviennent à faire approuver leurs opérations selon ce critère en prenant des engagements envers le gouvernement canadien, comme préserver les emplois au Canada et maintenir le niveau des dépenses en immobilisations. Dorénavant, nous nous attendons à ce qu’un plus petit nombre d’opérations fasse l’objet d’un examen de l’« avantage net » à la suite, d’une part, des modifications législatives récentes devant entrer en vigueur en 2014 et, d’autre part, du futur Accord économique et commercial global avec l’Union européenne qui, ensemble, porteront à plus de 1,5 G$ CA le seuil donnant lieu à l’examen de certaines opérations.
Cependant, les investissements dans des sociétés canadiennes par des sociétés d’État étrangères et les opérations susceptibles de soulever des questions de sécurité nationale continuent d’être fortement surveillés. Un nouveau pouvoir d’examen relatif à la « sécurité nationale » instauré en 2009 a été utilisé par le gouvernement canadien pour la première fois en 2013 afin de bloquer une opération dans le secteur des télécommunications, soit la tentative d’acquisition d’Allstream, société qui offre notamment des services de télécommunications aux entreprises au gouvernement fédéral, par la société égyptienne Accelero.
ANALYSE DES ACTEURS CONJOINTS SOUS LA LOUPE
Une décision récente d’un tribunal de l’Alberta offre un nouvel éclairage sur le moment où des actionnaires peuvent être considérés comme agissant « conjointement ou de concert », ce qui peut entraîner l’application des obligations d’information selon le système d’alerte. Dans l’affaire Genesis Land Development Corp. v. Smoothwater Capital Corporation, le tribunal a conclu que l’actionnaire activiste avait omis de se conformer au système d’alerte et de divulguer qu’il avait agi conjointement ou de concert avec certains autres actionnaires pour tenter d’obtenir le contrôle du conseil d’administration de la société cible. Les parties reconnues comme des acteurs conjoints sont tenues de communiquer certains renseignements prescrits et d’additionner leurs participations aux fins des règles sur les offres publiques d’achat.
Cette décision clarifie le fait que les actionnaires peuvent agir conjointement ou de concert s’il y a entente ou engagement en vue d’exercer des droits de vote relativement à la société ouverte. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’objet de l’entente ou de l’engagement porte sur une offre publique d’achat ou une autre acquisition d’actions. La décision fournit également des précisions sur le moment où les parties seront considérées comme agissant conjointement ou de concert, en soulignant qu’il s’agit d’une question de fait et que l’entente ou l’engagement n’a pas besoin d’être officiel ou écrit. Des preuves circonstancielles, comme les liens familiaux, des communications entre les parties et la présence commune à des assemblées, sont des éléments qui peuvent ensemble être pris en considération afin de déterminer si les parties ont déployé un effort concerté dans le but de concrétiser un objectif précis.
La question de savoir si un actionnaire est tenu ou non de mettre en commun ses participations avec celles d’autres actionnaires pour établir l’étendue des obligations qui lui incombent aux termes des exigences du système d’alerte ou des règles sur les offres publiques d’achat recevra sans doute une attention supplémentaire de la part des conseils d’administration des cibles cherchant à se défendre contre une offre non sollicitée ou une course aux procurations lancée par un activiste.
ACTIVISME DES ACTIONNAIRES : LA TENDANCE PERSISTE
Les actionnaires activistes continuent de faire campagne en faveur de courses aux procurations pour réclamer et souvent entraîner des changements au sein des sociétés ouvertes, exerçant ainsi une influence substantielle sur la composition du conseil d’administration, la gestion, la stratégie et l’exploitation de l’entreprise. En 2013, JANA Partners a perdu sa course aux procurations de longue haleine et fortement publicisée aux termes de laquelle elle cherchait à faire élire cinq administrateurs au conseil d’administration d’Agrium, tandis que la Société d’énergie Talisman et l’actionnaire Carl Icahn sont parvenus à une entente aux termes de laquelle deux des candidats de M. Icahn ont été nommés au conseil d’administration de Talisman.
Les dissidents disposent d’un certain nombre d’outils qui leur permettent de poser de sérieux défis pour les sociétés ouvertes canadiennes de toutes tailles. Les investisseurs continuent de tirer parti des lois sur les sociétés relativement libérales du Canada, lesquelles permettent aux actionnaires détenant 5 % des droits de vote de convoquer des assemblées extraordinaires pour tenter de remplacer des administrateurs. Bien que l’issue des actions activistes varie, nous nous attendons à ce que les émetteurs canadiens demeurent aux yeux des investisseurs activistes des cibles potentielles pouvant bénéficier d’améliorations en matière de gouvernance et d’une maximisation de la valeur. La réduction proposée du seuil de déclaration selon le système d’alerte et le resserrement des obligations d’information connexes devraient permettre aux émetteurs de mieux reconnaître les situations où un activiste acquiert une participation importante et de mieux saisir ses visées à l’égard de la société.
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Michael Gans 416-863-2286
Jamie Kariya 604-631-4278
Howard Levine 514-982-5039
ou avec d’autres membres de notre groupe Fusions et acquisitions.