UN EMPLOYÉ REMET SA DÉMISSION AVEC UN PRÉAVIS DE ONZE (11) MOIS… et l’employeur doit payer la durée totale du préavis

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UN EMPLOYÉ REMET SA DÉMISSION AVEC UN PRÉAVIS DE ONZE (11) MOIS…   et l’employeur doit payer la durée totale du préavis

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Dans l’affaire Paul Sylvestre c. Distribution zone électronique inc. 2017 QCTAT 3655, décision récente du Tribunal Administratif du Travail, l’employé Sylvestre remet sa démission accompagnée d’un préavis de onze (11) mois.

L’employeur jugeant ce délai déraisonnable, a avisé l’employé qu’il devait quitter l’emploi après environ trois mois de la date où l’employé avait remis sa démission.

Vous vous souviendrez de l’arrêt Asphalte Desjardins inc. rendue par la Cour Suprême du Canada où la Cour avait entériné les soumissions de la Commission sur les normes du travail à l’effet que, dans un tel cas, l’employeur congédiait alors l’employé démissionnaire.

À l’époque, Asphalte Desjardins avait soumis à la Cour qu’une démission ne pouvait se transformer en congédiement. Plus spécifiquement, si les soumissions de la CNT étaient retenues par la Cour, l’employé démissionnaire, alors congédié, bénéficierait de tous les recours prévus non seulement en vertu de la Loi sur les normes du travail (demander une réintégration), mais aussi en vertu des dispositions du Code civil, soit avoir droit à un délai-congé raisonnable en plus du préavis prévu à la LNT.

Ceci permettrait à un employé démissionnaire de remettre un préavis d’une durée d’un an, deux ans ou même plus, et, advenant que l’employeur lui demande de quitter les lieux, de contester son congédiement selon les dispositions de l’article 124 LNT, c’est-à-dire réclamer sa réintégration; réclamer la durée d’un préavis selon les dispositions de l’article 82 de la Loi sur les normes du travail (LNT) et même réclamer le paiement d’un délai-congé en vertu des dispositions du Code civil.

Je crois que, pour disposer de cet argument, la Cour Suprême a écrit ce qui suit :

(Paragraphe 44 ) «(…) Un employeur peut refuser qu’un salarié se présente sur les lieux de travail pour la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans la mesure où le délai de congé fourni par le salarié est raisonnable. L’employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à l’art. 2091 C.c.Q. et en vertu des art. 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail.»

Dans la décision Sylvestre, la juge administratif Line Lanseigne, reprend les enseignements de la Cour Suprême dans l’arrêt Asphalte Desjardins inc., en ce qui concerne le congédiement.

Elle constate que l’employeur a congédié l’employé démissionnaire Sylvestre en date où il a requis de ce dernier de quitter les lieux du travail. Tout en soulignant les dispositions du paragraphe 44 de l’arrêt Asphalte Desjardins, la juge administratif Line Lanseigne conclut que le TAT n’a qu’à constater s’il y a eu congédiement. En l’espèce, c’est le cas. Une fois ce constat fait, le TAT doit apprécier si le congédiement a été fait pour une cause juste et suffisante. En l’espèce, il n’y a aucune cause juste et suffisante qui justifierait le congédiement.

Cependant, la juge administratif continue qu’une fois ces constats faits, le TAT n’a qu’à prononcer la réintégration de l’employé et n’a pas à décider relativement à la raisonnabilité de la durée du délai-congé donné par l’employé ou encore celui donné par l’employeur.

En effet, la juge administratif continue au paragraphe 84 de sa décision qu’il «n’appartient pas au Tribunal Administratif du Travail à décider si la durée du délai-congé donné par le plaignant était déraisonnable dans les circonstances. Il n’a pas non plus à apprécier si la durée du délai-congé offert par l’employeur en réponse à celui du salarié est raisonnable.»

Partant, le TAT déclare que le plaignant doit être réintégré dans son emploi et ce, jusqu’à la date de sa démission annoncée, soit environ un an plus tard.

Le TAT ordonne à l’employeur de verser à l’employé démissionnaire/congédié (sic), l’équivalent du salaire et autres bénéfices dont l’a privé le congédiement.

Il est étonnant de la part du TAT de se décharger de décider si un préavis donné par un employé démissionnaire est déraisonnable ou non puisque, selon les enseignements de la CSC, cette question est intimement liée à ce que l’employeur doit au salarié à titre de délai-congé dit raisonnable.

En effet, si le constat que l’employé démissionnaire est congédié relève des enseignements de la CSC, le remède à apporter doit également se conformer auxdits enseignements de la CSC.

Dans l’affaire Sylvestre, je suis d’opinion que le préavis remis par l’employé démissionnaire d’une durée d’environ un an était en soi déraisonnable.

La question supplémentaire devait être posée: Le délai d’environ trois mois remis par l’employeur, avant d’exiger que l’employé quitte les lieux du travail, était-il raisonnable? Ce délai m’apparaît raisonnable dans le contexte où l’employé avait remis sa démission.

Je ne crois pas que le TAT n’ait pas à décider si la durée du délai-congé donné par l’employé démissionnaire ou par l’employeur dans un tel cas, était raisonnable ou non. Au contraire, il m’apparaît que le TAT devait décider de ces questions une fois qu’il entérinait le principe que l’employé démissionnaire était congédié.

Il n’est pas déraisonnable de prévoir que certains employés démissionnaires donneront un préavis ou des préavis d’une durée de douze ou même vingt-quatre mois ou encore plus.

Si la décision du TAT dans l’affaire Sylvestre est suivie, l’employeur ne pourrait faire valoir, à l’encontre d’une plainte en vertu de l’article 124 L.N.T., qu’il est en droit de demander au salarié démissionnaire de quitter l’emploi après ce que l’employeur considère être un délai raisonnable.

Le TAT serait limité à décider si l’employé démissionnaire aurait été congédié pour cause juste et suffisante et, dans la négative, le TAT serait lié par la durée du préavis remis par l’employé démissionnaire.

Ce qui, à mon avis, ne répond pas aux enseignements de la CSC dans Asphalte Desjardins inc.

Cette affaire a été portée devant la Cour supérieure en contrôle judiciaire. Il sera intéressant de voir comment la Cour supérieure tranche cette question.

À mon avis, l’employé démissionnaire n’aurait droit qu’à un préavis d’une durée équivalente à ce que prévu dans la Loi sur les normes du travail à son article 82 et pas plus.

À cet effet, compte tenu de la jurisprudence, je crois qu’il est temps que le législateur Québécois promulgue une disposition similaire à celle existante en Alberta, c’est-à-dire que dans un cas tel que celui dans Asphalte Desjardins inc. ou dans Sylvestre, l’employé démissionnaire n’aurait droit qu’à un préavis d’une durée équivalente à ce que prévu dans la Loi sur les normes du travail.

Claude Jean Denis